FISCALITÉ DES DROITS D’AUTEUR : QUELS PRINCIPES RESPECTER EN 2019 ?

Nous avons analysé avec attention les plus récentes décisions anticipées favorables rendues en matière de droits d’auteur.  Comme chacun sait, la prudence est de mise dès lors qu’il s’agit de se lancer dans une optimalisation basée sur le régime fiscal des droits d’auteur qui permet de s’attribuer des revenus mobiliers à un taux de 15%.

Il nous a paru dès lors intéressant d’exposer la position la plus actualisée de l’administration en cette matière. Cette position est celle du Service des Décisions Anticipées (SDA- anciennement   Commission du ruling) qui est très actif et rend des dizaines de décisions par an.

Bien évidemment, les directives, la méthodologie et les engagements préconisés par le Service des Décisions anticipées ne sont pas impératifs et ne forment pas un corpus normatif. Néanmoins, outre le fait que certains principes que le SDA rappelle nous semblent frapper du plus parfait bon sens et doivent être respectés, on observe que le contrôleur fiscal, ne disposant pas toujours de la maitrise juridique de ce régime fiscal ni de repères précis, les intègre dans son analyse ou à tout le moins s’en inspire.  Autant donc les connaitre.

Nous avons choisi d’étudier le cas (le plus souvent soumis au SDA) d’une entreprise spécialisée dans le développement de programmes d’ordinateurs. L’entreprise compte un ou deux gérants et des employés créatifs qui sont notamment amenés à créer des œuvres graphiques, des bases de données, des logiciels et toutes œuvres littéraires et scientifiques, ces dernières œuvres à comprendre au sens large. Les principes que nous vous proposons de résumer valent tout autant pour une société qui ne compterait pas d’employé mais seulement un ou plusieurs dirigeants, mais il nous a semblé nécessaire d’être le plus complet possible.

Nous avons dégagé, à la lecture des dernières anticipées rendues et sur la base de notre pratique du ruling, 14 principes essentiels :

  1. Le SDA rappelle – ce qui est une évidence – que les œuvres informatiques, à entendre au sens large, entrent bien dans le champ d’application des œuvres protégées. L’article XI. 294 du CDE (Code de Droit Economique) concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur stipule que : « Conformément à la directive 91/250/CEE du Conseil du 14 mai 1991 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur, les programmes d’ordinateur, en ce compris le matériel de conception préparatoire, sont protégés par le droit d’auteur et assimilés aux œuvres littéraires au sens de la Convention de Berne ».21. Le fait que ce genre de création puisse effectivement bénéficier de la protection relative aux droits d’auteur reprise dans le livre XI, Titre 5 du CDE est d’ailleurs confirmé dans la réponse à une question parlementaire (Q.P. Wouter Beke, n°5-1265 du 9 février 2011)
  2. En ce qui concerne les créatifs salariés, le calcul des droits d’auteur à attribuer se fera comme suit : il faut multiplier 25% de l’enveloppe financière (salaire brut + ATN, avant ONSS) par un « coefficient de créativité » (à savoir sa quote-part créative). En tous les cas, la société veillera à ce que l’attribution des droits d’auteur n’ait pas pour effet que leurs salaires deviennent, à la suite de cette attribution, inférieurs au barème salarial minimum
  3. Ce « coefficient de créativité » peut atteindre 100% s’il est justifié par les tâches quotidiennes exclusivement créatives attribuées aux créatifs salariés de la société, qui consistent dans le développement, la programmation et le débogage de programmes d’ordinateur. Il sera réduit si le salarié exerce des missions de support (help desk) ou de maintenance.
  4. Dans l’hypothèse où l’entreprise dispose de plusieurs départements (p.ex. Département Marketing, Product management, Support, R&D, …), ce coefficient s’établira par département et non par employé, ce qui permettra d’inclure tout nouvel employé automatiquement dans le régime fiscal Il conviendra dès lors fournir au SDA un tableau Excel indiquant les départements qui sont visés par la demande et le nom et le nombre d’employés par département, de même qu’un tableau reprenant les autres départements non visés par la demande.
  5. Le SDA vérifiera que le pourcentage de créativité des employés créatifs (qui oscille en général entre 85% et 100 % pour les développeurs informatiques) est parfaitement justifié et que ces employés ne font pas parallèlement des taches commerciales, administratives financières, car ces tâches sont précisément accomplies par d’autres départements (p.ex. le SDA vérifiera si un développeur ne fait pas aussi du commercial, ce qui pourrait réduire son coefficient de créativité).
  6. Les gérants, à condition qu’ils aient la rémunération minimale de dirigeant fixée à l’article 215 du CIR càd la rémunération requise pour que la société conserve le taux réduit à l’I. Soc. (Soit une rémunération de 45.000 EUR ou une rémunération égale à la base imposable de la société), pourront se répartir entre eux 12,5% du chiffre d’affaires au titre de cession de droits d’auteur, mais après déduction des montants attribués aux créatifs salariés en contrepartie de la cession de leurs droits. Donc s’ils sont deux gérants, 6,25 %, chacun (après attribution aux employés). Par rémunération de dirigeant il faut entendre la rémunération brute (ATN compris) mais à l’exclusion des tantièmes.
  7. Le chiffre d’affaires qui sert de référence doit obligatoirement être lié à l’exploitation des différentes créations (hors maintenance et support). Le SDA note également que la partie des rémunérations facturées éventuellement par la société qui couvre les frais de déplacement depuis et vers le lieu de travail habituel, les frais administratifs et d’autres frais similaires, n’est pas prise en considération pour la détermination du chiffre d’affaires créatif à prendre en compte.
  8. L’attribution globale des droits d’auteur ne peut avoir pour effet que le bénéfice comptable de la société cessionnaire, après attribution des droits d’auteur aux gérants, soit inférieur à 50% de son bénéfice comptable avant attribution de ces droits d’auteur aux gérants. Si tel est le cas, le montant de droits d’auteur pouvant être attribué devra être réduit à due concurrence.
  9. Par bénéfice comptable il faut entendre le Code 9903 des comptes annuels (càd exclusions des comptes de charges et de produits d’exploitation non-récurrents et des comptes de charges et produits financiers non-récurrents (66 A et B / 76 A et B) de même que des comptes relatifs aux impôts sur le résultat (67-77) ainsi que des comptes de transfert aux impôts différés et de prélèvement sur les impôts différés (68-78).
  10. Cette limite de 50% maximum du bénéfice comptable connait une exception : le montant des droits d’auteur ne pourra être inférieur à 5% du chiffre d’affaires de la société relatif aux créations informatiques. Donc même si la société est en perte ou ne respecte pas cette limite de 50%, le gérant peut toujours prétendre à l’octroi de minimum 5% (2,5 % s’il y a deux gérants) de ce chiffre d’affaires au titre de revenus de droits d’auteur.
  11. Les documents qui seront établis par la société à destination de ses clients (facture, contrats) devront permettre de distinguer la partie rémunérant la cession des droits d’auteur (maximum 25%) et celle relative aux prestations proprement dites. En clair, il conviendra d’indiquer sur la facture que la rémunération perçue par la société indemnise aussi une cession de droits d’auteur qui ne peut dépasser 25% du prix global
  12. La rémunération offerte à l’auteur (ou aux auteurs) ne peut être de nature à engendrer des pertes récurrentes dans le chef de la société cessionnaire, faute de quoi celui-ci mettrait fin à sa relation contractuelle avec l’auteur. Ce serait d’ailleurs contraire au principe selon lequel les prix pratiqués entre parties indépendantes doivent être conformes au prix du marché. Ces principes (rémunération « normale » en cas de cession de droits d’auteur) doivent donc aussi être respectés entre parties liées (société et ses gérants), ce qui est le cas dans toutes demandes formulées au SDA.
  13. Il conviendra toujours de rédiger une convention détaillant avec précision la quotité de la rémunération spécifiquement afférente à la cession ou à la concession de droits d’auteur et la nature des droits sur les œuvres protégées qui font l’objet de la cession ou concession au profit de la société. A défaut de convention écrite, l’ensemble des attributions faites par la société peut se voir requalifiée en rémunération de salarié ou de dirigeant, selon le cas.
  14. Enfin, le SDA examine l’opération au regard de la dispositions anti-abus (article 344, §1er du CIR). Mais compte tenu de ce que la Loi du 16 juillet a organisé une fiscalité forfaitaire des droits d’auteur et de ce que l’article XI. 167, §1er du CDE qui stipule que « pour chaque mode d’exploitation, la rémunération de l’auteur, l’étendue et la durée de la cession doivent être déterminées expressément », le SDA conclut presque toujours que l’article 344, §1er CIR92 n’est pas applicable aux cas qui lui sont soumis.

Voilà de quoi éclairer les futurs candidats au régime des droits d’auteur, qui en dépit de ces règles et engagements qui peuvent sembler assez contraignants, reste très attractif.

Notre philosophie est de veiller à respecter ces directives et ces limites dans la mesure du possible dans tous nos dossiers, ou de justifier les motifs pour lesquels, dans tel ou tel cas exceptionnel, nous choisissons de nous en écarter.

Dans certains cas (telle la présence de plusieurs employés créatifs au sein de la société), une demande décision anticipée nous parait même une nécessité vitale.

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