CHARGES LIEES A L’OBJET SOCIAL : COMBIEN DE TEMPS FAUDRA-T-IL ?

Le moins que l’on puisse dire est que la Cour de cassation a fait parler d’elle avec un grand retentissement en juin 2015. Dans plusieurs arrêts successifs, la Cour choisit de  remettre en cause une condition à toute déduction des frais professionnels qu’elle avait pourtant défendue jadis avec opiniâtreté : le nécessaire lien d’une charge professionnelle avec l’objet social d’une société.

 Déjà, en 2014, la Cour avait ouvert la brèche en ce domaine en redonnant  de la vigueur à  une ancienne théorie dite « de la rémunération »  selon laquelle des frais qu’une société expose en vue d’attribuer un avantage de toute nature à son dirigeant d’entreprise ne constituent des frais professionnels déductibles que s’il peut être démontré que l’avantage attribué constitue la contrepartie des prestations effectivement fournies par le dirigeant d’entreprise au sein de la société. Ce qui restait une question d’interprétation factuelle.

 Dans deux arrêts du 4 juin 2015, suivis par deux arrêts du 12 juin 2015, la Cour suprême franchit une étape supplémentaire et a jugé que  «  la circonstance qu’il n’existe pas de lien entre une opération d’une société et son objet statutaire ou le fait qu’une opération a été effectuée dans le seul but d’obtenir un avantage fiscal, n’excluent pas que les revenus et produits qui sont le résultat de cette opération soient considérés comme des revenus professionnels. »  Et de poursuivre en ces termes « Il ne résulte pas de l’article 49 du CIR 1992 que la déduction des dépenses professionnelles soit subordonnée à la condition qu’elles soient inhérentes à l’activité sociale de la société commerciale telle qu’elle résulte de son objet social ». Difficile d’être plus clair.

 Ce revirement (d’ailleurs reconnu par la Cour elle-même) est spectaculaire.  Dans divers articles,  nous n’avions cessé de dénoncer cette « cinquième condition » qui ne trouve aucune assise dans notre code des impôts sur les revenus et qui a pour effet pervers de taxer un revenu brut plutôt qu’un revenu net. Nous plaidions pour un retour à la raison et dès lors une interprétation plus respectueuse et fidèle du texte de l’article 49 du CIR qui contient les conditions suffisantes pour admettre ou rejeter une charge postulée. Le critère de la finalité de la dépense est le seul qui mérite d’être pris en considération s’agissant d’une dépense qui s’écarterait des limites de l’objet social. N’est-il en effet pas plus simple de s’interroger exclusivement sur la question de savoir si une dépense a ou non concouru  à la création de revenus imposables, sans se perdre dans des théories nouvelles ?

 C’est évidemment dans le domaine des charges immobilières, et plus spécifiquement des frais grevant l’acquisition d’un usufruit, qu’une telle jurisprudence trouver le plus d’écho.  dès lors qu’une activité professionnel quelconque,  même partielle, est réellement exercée dans l’immeuble qui est occupé par le  gérant, toute remise en cause des charges relatives au bien immobilier dès lors qu’elle n’ont pas un lien direct avec l’objet statutaire de la société se voit à présent condamnée .

 

L’affaire est-elle pour autant bouclée ? Permettez-moi d’en douter. Ayant eu l’occasion d’interroger certains « hauts responsables » de même que divers contrôleurs « zélés » à ce propos et n’ignorant pas la force d’inertie de l’administration fiscale, il semble qu’il faudra encore bien du temps avant que les esprits ne s’adaptent et acceptent  ce qui sonne pourtant comme une évidence. Ne lit-on d’ailleurs pas sur le site du SPF Finances «  Fisconet », reproduisant l’un des arrêts, que celui ne concerne que la problématique QFIE (l’arrêt traitant en l’espèce de cette question).  Il n’échappera pourtant à personne  que les arrêts  successifs de juin 2015 ont au contraire une portée de principe.  

 Il serait profondément regrettable  que l’on assiste, comme ce fut le cas notamment en  matière de report des RDT (arrêt Cobelfret) , de déduction refusée des frais accessoires sur terrain ou d’application illégale de la clause d’émigration (article 364 bis du CIR) , à une longue tergiversation du fisc qui refusant d’être beau joueur  multiplie arguties et circulaire jusqu’au dernier moment. L’obstination confine parfois au ridicule. Ne serait pas temps d’être pour une fois beau joueur et  de révéler un autre visage, dans le bel esprit de la « taxcification » ?

 Messieurs les fonctionnaire, une circulaire, vite ! Quelques lignes suffiraient  pour énoncer simplement que le seul fait qu’une opération ne s’inscrit pas dans la définition de l’objet statutaire de la société ne permettrait plus de refuser la déduction des frais liés à cette opération.  Est-ce si  difficile ?

 

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