Constructions usufruit en 2012 : les douze travaux d’Hercule

INTRODUCTION

1. Héraclès ou Hercule  (de son premier nom Alcide), fruit des infidélités conjugales de Zeus avec sa maîtresse Alcmène, est l’un des héros les plus vénérés de la Grèce antique. Ces exploits sont chantés par les plus grands poètes (tels  Homère ou Diodore de Sicile) et ont traversé les siècles. Depuis sa naissance, Hercule, bien que destiné par Zeus à régner sur les humains, a toujours été poursuivi par la haine terrible d’Héra, épouse de Zeus. Celle-ci  décida de tout entreprendre pour se venger de l’infidélité de son mari. Dans un moment de folie inspirée par cette dernière, le malheureux Hercule  tua sa femme et ses fils. Revenu à la raison, il alla consulter la Pythie  pour savoir comment expier sa faute : celle-ci lui conseilla de changer son nom Alcide en Héraclès (gloire à Héra) et lui ordonna de se mettre au service d’Eurysthée, son plus vieil ennemi, et d’accomplir les tâches qu’il lui ordonnerait : ce seront les douze travaux d’Hercule. Il lui fallut ainsi :

  1. Étouffer le lion de Némée à la peau impénétrable, et rapporter sa dépouille.
  1. Tuer l’hydre de Lerne, dont les têtes tranchées repoussaient sans cesse.
  2. Battre à la course la biche de Cérynie aux sabots d’airain et aux bois d’or, créature      sacrée d’Artémis.
  3. Ramener vivant l’énorme sanglier d’Érymanthe.
  4. Nettoyer les écuries d’Augias, qui ne l’avaient jamais été.
  5. Tuer les oiseaux du lac Stymphale aux plumes d’airain.
  6. Dompter le taureau crétois de Minos, que celui-ci n’avait pas voulu rendre à Poséidon.
  7. Capturer les juments mangeuses d’hommes de Diomède.
  8. Rapporter la ceinture d’Hippolyte, fille d’Arès et      reine des Amazones.
  9. Vaincre le géant aux trois corps Géryon, et voler son troupeau de bœufs.
  10. Rapporter les pommes d’or du jardin des      Hespérides, que gardait Ladon.
  11. Descendre aux Enfers et enchaîner le chien aux trois têtes Cerbère.

2. Le parcours du candidat à une « structure usufruit », s’apparente, depuis quelque temps, à une série d’épreuves semblables à celles de notre géant Hercule. C’est à ce nouvel héros fiscal du troisième millénaire, prêt à se battre envers et contre tous,  que nous souhaitons rendre hommage, apporter nos conseils et adresser nos  vœux de succès fiscal. Poursuivi non par la haine d’une déesse, mais par les hordes de l’administration fiscale (ce qui n’est guère plus réjouissant !), le courageux contribuable aspirant à se plonger dans un mécanisme de démembrement de propriété (celui-ci consistant  à faire acquérir l’usufruit d’un immeuble par une société tandis que la nue-propriété lui revient en tant que  dirigeant) devra surmonter douze obstacles s’il veut voir se réaliser son rêve, et échapper à un quelconque redressement fiscal. L’immortalité fiscale est à ce prix…

 

 

3. Cette immortalité fiscale revêt, en l’espèce, la forme d’une multiplicité d’avantages fiscaux que tout fiscaliste connait désormais parfaitement :

 

–          en tant que titulaire d’un droit réel sur l’immeuble, la société peut  déduire toutes les charges liées à l’immeuble : précompte immobilier, frais d’entretien et de réparation, charges financières ainsi que sa quote-part dans les frais d’acquisition qui peuvent être pris en charge en une fois (ou étalés sur la durée de l’usufruit) ;

–          la société pourra amortir l’immeuble (en ce compris le terrain!) et les travaux d’aménagement sur la durée de vie de l’usufruit, ce qui permet un amortissement accéléré par rapport à l’amortissement, en général de 3%, sur la pleine propriété d’un immeuble ;

–          la société supportera une partie des coûts des travaux et des divers aménagements de l’immeuble, si l’usufruit porte sur un terrain à bâtir, ce qui par conséquent  permet au dirigeant de libérer d’importantes liquidités dont il ne pourrait disposer s’il avait à assumer de telles charges à titre personnel ;

–          l’immeuble sera mis à disposition  à titre gratuit au profit du dirigeant moyennant la taxation d’un avantage de toute nature, certes aujourd’hui élevé, mais moindre au coût d’un investissement à titre personnel ;

–          ce mécanisme permet en outre d’éviter la requalification d’un loyer en revenu professionnel. En effet, l’article 32, 3° du Code des impôts sur les revenus (ci-après « C.I.R. »)  prévoit que les loyers et avantages locatifs d’un bien immobilier bâti donné en location par une personne physique à la société dans laquelle elle exerce un mandat d’administrateur, de gérant ou de liquidateur sont requalifiés en rémunérations dans la mesure où ces loyers et avantages excèdent 5/3 du revenu cadastral revalorisé du bien loué. L’article 32 du C.I.R. n’envisage donc la requalification que dans l’hypothèse d’une location et non dans celle d’un usufruit.

–          Lors l’extinction de l’usufruit, le dirigeant retrouve la pleine propriété sans avoir à acquitter en principe d’indemnité, par le seul jeu du remembrement. En outre, aucun droit d’enregistrement de 10 ou 12,5% n’est dû à cette occasion.

–          Toute cession ultérieure de l’immeuble par le dirigeant devenu plein propriétaire devient en principe un acte de gestion de patrimoine privé, non taxable.

 

4. Quels sont donc ces exploits que notre nouvel héros fiscal devra accomplir ?  Quelles sont les obligations qu’il devra suivre scrupuleusement pour atteindre ce graal fiscal ? Quelles sont ces actions herculéennes à accomplir pour dompter la redoutable hydre administrative ?

Nous vous révélons la liste des douze défis fiscaux :

  1. Veiller à une valorisation économique du droit d’usufruit ;
  2. Réduire au maximum les effets d’un avantage de toute nature devenu monstrueux ;
  3. Inscrire son projet immobilier dans l’objet social de la société ;
  4. Apporter à l’administration, sur un plateau d’argent, la preuve qu’une structure usufruit est profitable à la société ;
  5. S’engager à respecter une durée d’usufruit de 20 ans minimum ;
  6. Ne pas tomber sous le coup de la nouvelle mesure anti-abus ;
  7. Respecter scrupuleusement les stipulations du code civil relatives aux travaux ou améliorations ;
  8. Eviter les risques d’une taxation (en tant qu’avantage de toute nature ou avantage anormal ou bénévole) lors du remembrement de propriété ;
  9. Affronter son notaire devenu réticent à ce type de montage ;
  10. Se préparer à un contrôle fiscal devenu presque inéluctable ;
  11. S’arranger pour que l’usufruit ne s’interrompe pas avant terme ;
  12. Espérer que la loi fiscale ne change pas.

 

 

Tel est le parcours herculéen qui attend notre valeureux contribuable prêt à se lancer dans l’aventure.

Maigre consolation pour notre combattant fiscal : contrairement à Héraclès (Gloire à Héra !) il ne lui sera toutefois pas demandé  de changer son nom en « Fiscclès » (gloire au Fisc) !

_______________

 

  1. 1.      De la nécessaire valorisation économique d’un usufruit

Travail n° 1 : rapporter à Eurysthée la peau du lion de Némée

1.1. La première épreuve qui attend notre audacieux contribuable consiste à ne pas tomber dans les travers d’une valorisation du droit d’usufruit qui lui serait trop avantageuse. Plus redoutable  que le lion de Némée dont la peau est, d’après Homère, si épaisse qu’aucune lame n’y résiste, l’administration, à la peau de plus en plus dure, ne ferait qu’un carnage des constitutions d’usufruit déterminées à la va-vite et ne manquerait pas de rugir à la vue de contribuables imprudents.  Le temps béni des droits d’usufruit dits « 80/20 » est en effet révolu.

1.2. Jadis, l’évaluation de l’usufruit sur un immeuble se faisait en se fondant sur  l’article 47, alinéas 2 et 3 du Code des droits d’enregistrement qui fixait la base imposable pour le calcul des droits d‘enregistrement en cas de cession d’un usufruit temporaire sur un immeuble[1]. Cette disposition prévoit que « si l’usufruit est établi pour un temps limité, la valeur vénale est représentée par la somme obtenue en capitalisant au taux de 4% le revenu annuel, compte tenu de la durée assignée à l’usufruit par la convention, mais sans pouvoir excéder soit la valeur déterminée selon l’alinéa précédent, s’il s’agit d’un usufruit constitué au profit d’une personne physique, soit le montant de vingt fois le revenu, si l’usufruit est établi au profit d’une personne morale. En aucun cas, il ne peut être assigné à l’usufruit une valeur vénale supérieure aux quatre cinquièmes de la valeur vénale de la pleine propriété »[2]. Dans la plupart des cas, les contribuables évaluaient l’usufruit à 80% de la valeur de la pleine propriété de l’immeuble, ce qui constitue le maximum autorisé par l’article 47 du Code des droits d’enregistrement[3].

1.3. Aujourd’hui tant les praticiens, le fisc que les cours et tribunaux sont unanimes pour considérer que seule doit prévaloir l’évaluation économique. Dans un avis général sur les usufruits, le Service des Décisions Anticipées (ci-après le SDA)  précisait  déjà que : « la valorisation d’un usufruit doit être examinée au cas par cas et devra, entre autres, tenir compte de l’état dans lequel se trouve le bien immeuble, des travaux encore à effectuer, des frais générés par la constitution de l’usufruit (frais de notaire, frais d’enregistrement) ainsi que de l’affectation donnée par la société au bien immobilier (utilisation propre, mise en location, usage intensif,..) »[4].

1.4. Mais c’est le fameux jugement du tribunal de première instance de Mons du 28 février 2005 qui a marqué le véritable tournant en matière de valorisation d’usufruit[5]. S’inspirant sans doute d’une étude de J. Verhoeye [6] consacrée à la valeur économique d’un usufruit, le Tribunal de Première rejeta sans détour la valorisation retenue traditionnellement dans le contexte des constructions usufruit. Pour calculer la valeur économique d’un usufruit, il convient de partir du produit actualisé du rendement locatif brut pendant la durée de l’usufruit, dont on déduira ensuite les frais estimés que doit supporter l’usufruitier  (tels les frais d’entretien et le précompte immobilier[7]). La valeur de la nue-propriété se calcule alors comme  représentant la valeur du bien en pleine propriété, diminuée de la valeur au comptant du rendement locatif net de l’usufruit.

1.5. La formule[8] recommandée pour calculer l’usufruit est la suivante : VU = (H/(r-i)) x (1- (1+i/1+r)n),  où VU = valeur actualisée d’un usufruit temporaire ; H =: revenu locatif annuel net ; n = durée de l’usufruit en année ; r = rendement financier pour une durée n ; i : taux d’inflation attendu pour cette durée n. Prenons un exemple : un immeuble vaut 650.000 EUR, le loyer mensuel estimé est de 2.000 EUR/mois et la durée de l’usufruit est de 20 ans. Le rendement financier peut être estimé à 3,55% et le taux d’inflation de 2%. La valeur économique (actualisée) d’un usufruit  sera, suivant la formule, de 403.188 EUR (soit 62,03 % de 650.000). Pour une durée de 25 ans, la valeur passe à 486.371 EUR (soit 74,83 %).

1.6. Nous avons pris l’initiative d’interroger un expert en la matière, le professeur Christian Jaumain, actuaire et professeur à l’UCL.

Ce dernier propose une formule quelque peu différente de celle actuellement  retenue  par l’administration[9].

Voici  son analyse :

« En posant 1+ t = (1+r)/(1+i) où t est le taux d’intérêt réel, on obtient la forme plus simple:

VU = H x (1 – (1+t)^-n) / t

L’intérêt de la formule  par rapport à la formule habituellement retenue par le fisc est qu’elle ne nécessite que la supputation du seul taux réel plutôt que de chacun des deux taux sous-jacents à celui-ci. ».

Si nous reprenons le même exemple, le professeur Jaumain aboutit à un résultat différent :

« Exemple numérique: H=24.000, n = 20, r=3,75%, i=2%. On obtient t = 1,7157% et VU = 24.000 x 16,809085 = 403.418. Pour une durée de 20 ans, le taux réel moyen (net) pondéré des 10 dernières années ne dépasse pas 1,30%. La valeur de l’usufruit correspondante atteint alors 420.287 soit 4,2% de plus. »

1.7. Certaines  remarques doivent aussi être formulées :

1) les formules qui précèdent ont trait à des valeurs locatives annuelles. Elles doivent être aménagées si les loyers sont payables par fraction d’année.

2) si r et i sont suffisamment petits, on a approximativement t = r – i (autrement dit, le taux réel est grosso modo égal au taux de rendement moins le taux d’inflation).

3) plus le taux réel est petit, plus VU évalué à partir de la valeur locative est élevé, ce qui provoque souvent la perplexité du profane … et même de quelques professionnels !

1.8. Qu’il me soit aussi permis à ce stade cette autre réflexion, d’ordre juridique : on est en droit de se demander si cette approche économique n’est pas quelque peu réductrice en ce qu’elle limite la valeur d’un droit d’usufruit à la seule perception des revenus d’un immeuble (ius fruendi) sans prendre en compte cette autre composante de l’usufruit qu’est le droit d’usage de l’immeuble par la société (ius utendi), à condition bien sûr que ce droit ne soit pas cédé totalement au nu-propriétaire mais soit nécessaire à la société pour lui permettre d’exercer son activité.

_______________

 

  1. 2.      De la lutte contre les effets désastreux du nouvel avantage de toute nature

Travail n° 2 : Tuer l’hydre de Lerne

2.1. Lorsqu’est déterminée la valeur économique de l’usufruit, le gérant de la société qui a acquis l’usufruit de l’immeuble sera  attentif à ne pas oublier de déclarer l’éventuel avantage de toute nature, pour la partie de l’immeuble qu’il occupe à titre privé.  Le montant de l’avantage de toute nature s’établit comme suit depuis le 1er janvier 2012:

Revenu castral  x 1,6349 (coefficient d’indexation 2012) x 3,8 (nouveau coefficient depuis 1/1/2012) x 100/60  (coefficient applicable aux maisons dont le RC est supérieur à 745 EUR) x 5/3 (habitation meublée).

Cet avantage, presque doublé par rapport à l’an dernier,  doit être  repris sur la fiche fiscale du bénéficiaire (fiche 281.20), si l’on veut éviter le couperet de la cotisation spéciale de 309 %.

2.2. Il va sans dire que la seule existence de ce nouveau forfait peut suffire aujourd’hui à dissuader la mise société d’un immeuble. Telle cette hydre de Lerne dont il ne servait à rien de couper la tête car celle-ci se voyait automatiquement remplacée par trois nouvelles têtes, cet avantage en nature semble, de par la volonté du législateur, chaque année de plus en plus en plus gigantesque (il est parfois d’un montant supérieur à la valeur locative du bien) et semble lui aussi accroître sans cesse. Il faut dès lors, comme Hercule face à cette hydre, tout entreprendre, pour le réduire si l’on ne peut l’anéantir.

2.3. Nous suggérons dès lors quelques pistes pour atténuer les effets d’une telle taxation.

2.4. Rappelons d’emblée qu’un avantage de toute nature n’est en principe applicable que si l’on est dirigeant ou employé de la société. Quitter ce statut est évidemment la solution la plus efficace  sur le plan fiscal. La jurisprudence a rappelé à diverses reprises que le  seul fait d’être principal actionnaire d’une société, alors qu’on a perdu la qualité d’administrateur, ne peut  donner lieu à la taxation d’un tel avantage.[10] Si l’actionnaire occupe l’immeuble appartenant à sa société, il lui appartiendra  pour cette occupation de payer un loyer à la société.  A défaut, l’administration considérera que la société a consenti à celle-ci un avantage anormal ou bénévole au sens de l’article 26 du Code des impôts sur les revenus (une forme de libéralité), à concurrence du loyer non perçu.  Cet avantage est taxable au taux de 33,99% (majoré d’éventuels accroissements).

Le loyer que la société devrait payer doit en outre être conforme au prix du marché pour ce bien.

2.5. Si la suppression du mandat de dirigeant ne peut être envisagée, nous suggérons  quatre  techniques pour réduire le montant de cet avantage de toute nature :

  1. a.  Sortir les meubles.

Dès lors que l’avantage est multiplié par 5/3 si la maison est meublée, il faut envisager la vente par la société des meubles  qui s’y trouvent. Le gain en termes de diminution d’ATN est parfois substantiel, surtout si les meubles sont d’une valeur peu significative et que leur sortie peut se faire à moindre coût.  Cela peut se faire en payant immédiatement le prix ou en le faisant comptabiliser au  compte courant. Le prix doit correspondre à une « valeur marchande normale », c.-à-d.  à la valeur  que la société demanderait à un acheteur indépendant pour ces meubles, eu égard à leur vétusté et leur état. La valeur pour laquelle ils figurent dans la comptabilité de la société n’est pas pertinente pour fixer cette valeur marchande. La différence entre le prix de vente et la valeur comptable constituerait un revenu imposable pour la société. Si certains meubles sont déjà totalement amortis, la société sera donc imposée sur la totalité du prix de vente pour ces meubles. Il faut en tout cas éviter de ne rien payer ou de payer le minimum car, en ce cas, la société court le risque d’écoper d’une cotisation de 309% pour avoir accordé un avantage à son gérant, dès lors que  cet avantage n’est pas repris sur la fiche fiscale. Une expertise mobilière faite par un expert reconnu peut s’avérer utile.

 

  1. b.      Donner une affectation professionnelle maximale  à l’immeuble

 

Dans la mesure où il n’est pas contesté que le gérant travaille pour sa société dans l’immeuble, il peut être parfaitement défendu qu’une partie de celle-ci a un usage professionnel. Cet usage doit rester bien entendu raisonnable. Une convention de bail entre la société et son gérant peut s’avérer utile pour documenter cet usage professionnel. Il faudra également aménager l’intérieur de la maison pour justifier la partie professionnelle (prévoir espace spécialement dédié à cette activité). On peut installer des bureaux, des étagères, des cloisons amovibles,  transformer une réserve ou créer un locale d’archives, etc.  On peut tenir compte du hall d’entrée, des toilettes, du garage, dans une proportion raisonnable.

  1. c.       Limiter l’avantage en nature à la seule période de séjour  en   Belgique

Il nous parait aussi défendable de considérer que l’avantage doit être réduit pour la période au cours de laquelle le contribuable ne séjourne pas en Belgique. Le commentaire administratif le prévoit explicitement. Le Com IR 36/121 précise en effet que « Si des immeubles ou parties d’immeubles ne sont mis(es) à disposition que durant une partie de l’année, le montant imposable doit être fixé en fonction du nombre de mois d’occupation ou d’usage ». Certes, cette tolérance est plutôt prévue pour des inoccupations d’une certaine durée bien définie.  Le Com Ir 36/122 ajoute d’ailleurs que « Lorsque la mise à disposition n’a pas lieu le premier jour du mois, ce mois n’intervient pour le calcul de l’avantage que si l’immeuble est occupé le 16ème jour du mois. La même règle s’applique pour le mois durant lequel cette mise à disposition cesse quand cet événement n’a pas lieu le dernier jour du mois ». Cet ajout révèle que l’hypothèse est celle d’une inoccupation d’une durée d’au moins un mois. Cette règle ne vise donc pas en principe des déplacements occasionnels en cours d’année pour une courte durée, même si ces déplacements sont nombreux. Mais pourquoi ne pas négocier un accord avec son contrôleur sur ce point ?

  1. d.       Payer un loyer à la société lorsque le montant de l’avantage de toute nature est disproportionné par rapport à la valeur locative

Selon nous, une autre technique  pourrait être envisagée dans la mesure où le loyer a fait l’objet d’une évaluation par un expert immobilier au prix du marché et qu’un bail est enregistré. Le gérant pourrait en effet opter pour le paiement d’un loyer à sa société. Dans ce cas, s’il est évident que l’avantage est obtenu autrement qu’en espèces, il n’en reste pas moins qu’il est compté pour sa valeur réelle puisqu’un loyer a été déterminé sur base du prix du marché par un agent immobilier. Le Roi n’a d’ailleurs dérogé à ce principe que pour les mises à disposition gratuites d’immeubles (article 18 de l’AR/CIR). Or dans ce cas-ci, la mise à disposition ne serait pas gratuite mais rémunérée. Il se déduirait donc des textes légaux qu’il ne peut y avoir de requalification de la différence entre le nouveau mode de calcul de l’avantage et le loyer en avantage non déclaré.  Cette thèse est renforcée par le fait que le commentaire précité vise en particulier le cas spécifique de la « mise à disposition pour un loyer anormalement bas », ce qui ne serait pas le cas en l’espèce. En cas d’intervention du bénéficiaire de l’avantage dans le coût de celui-ci, le Com.CIR précise en effet en son n°36/130 :« Lorsqu’un immeuble est mis à disposition d’un bénéficiaire moyennant une intervention dans le coût de l’avantage, il faut, dans tous les cas, déterminer l’avantage imposable en principe en cas d’occupation gratuite et ensuite en déduire l’intervention du bénéficiaire. C’est p.ex. le cas lorsque l’immeuble est mis à disposition pour un loyer anormalement bas (voir toutefois 36/132) ». Si le loyer payé est d’un montant normal, on ne devrait pas tomber sous le coup de cette disposition administrative.

 

 

  1. 3.      De la nécessité de rattacher les charges grevant l’usufruit à l’objet social de la société  

Travail n° 3 : Battre à la course la biche de Cérynie

 

 

3.1. L’article 49 du C.I.R. énonce que, pour être déductible, une charge professionnelle doit être faite ou supportée pendant la période imposable en vue de conserver ou d’acquérir des revenus imposables et être justifiée au moyen de documents probants. La loi fiscale n’édicte en cette matière aucune autre condition. Cependant, depuis quelques années, l’administration, suivie par la jurisprudence de la Cour de cassation, s’est mise à ajouter une nouvelle exigence au texte de la loi : les charges professionnelles doivent en outre rentrer dans les limites de l’objet social statutaire. C’est surtout en matière de rejet des charges immobilières que cette théorie trouve le plus d’écho chez les fonctionnaires et les juges. S’inspirant allègrement d’une telle jurisprudence, certains inspecteurs motivent leur avis de rectification en considérant que la plupart des charges grevant l’immeuble qui sont comptabilisées par la société usufruitière dépassent l’objet social principal de celle-ci. Or, une telle position jurisprudentielle nous semble précisément contestable en ce qu’elle ne trouve aucune assise dans le texte de l’article 49 du C.I.R., article qui se limite à exiger que les frais soient supportés en vue d’acquérir ou de conserver des revenus imposables.

3.2. On observera que la jurisprudence n’est pas unanime sur cette question. Le tribunal de première de instance de Mons a ainsi donné raison au contribuable et son jugement, daté du 15 novembre 2010[11] mérite d’être épinglé. Dans ce cas d’espèce, une société avait acquis l’usufruit d’un immeuble pour une période de 15 ans. L’immeuble était en partie utilisé par la société qui y avait  établi son siège social et son siège d’exploitation (1 salarié en 2006 et 6 salariés en 2008) et en partie occupé par le dirigeant qui y avait son domicile, partie pour laquelle un avantage en nature était déclaré. Le fisc entendait rejeter  35 % des frais relatifs à l’usufruit, cette quotité de  35 % correspondant à la partie privée du bâtiment. L’administration avait contesté une telle  déduction, au motif que la dépense n’était  pas inhérente à l’exercice de la profession et ne se rattacherait pas à l’activité sociale. Selon le Tribunal, l’acquisition de l’usufruit  se rattache directement et nécessairement à l’activité sociale de la société qui y exerce son activité et ne dispose d’aucun autre siège social ou d’exploitation. Le Tribunal condamne l’interprétation restrictive de l’administration fiscale et rappelle que l’administration ne peut se faire juge de l’opportunité d’une dépense. Le Tribunal considère que l’institution de l’usufruit  n’est en l’espèce aucunement dénaturée et que la société n’a réalisé aucun montage immobilier suspect. On lira en particulier cet attendu fort intéressant  : «  Une société peut parfaitement acquérir l’usufruit  d’un immeuble en vue de le mettre en partie à la disposition de son gérant, ce qui représente un avantage en nature inclus dans la rémunération du dirigeant d’entreprise, dont la taxation est d’ailleurs expressément prévue par l’art. 32 alinéa 2 2° CIR 92 et par l’article 18 AR/CIR 92 « . Selon le  juge le montage est d’autant moins suspect que la valeur de l’usufruit a été déterminée de manière correcte et validée par un réviseur d’entreprises.[12]

3.3. En dépit de cette jurisprudence favorable et source de quelque espoir, on sera attentif à une correcte rédaction des statuts prévoyant de manière claire la possibilité pour la société d’avoir une activité immobilière. En plus de la traditionnelle formule : « la société peut accomplir toutes opérations civiles, mobilières ou immobilières se rapportant à son objet ou de nature à en faciliter la réalisation », il nous parait indiqué de prévoir cet autre  paragraphe, suivant celui reprenant la description de l’objet social principal de la société civile à forme commerciale   : « II. La société a également pour objet la gestion d’un patrimoine immobilier et mobilier, ainsi que toutes opérations se rapportant directement ou indirectement à cet objet : l’achat et la vente, la location, la mise en valeur de tous biens immeubles, les opérations  financières de nature à favoriser le rapport des immeubles qu’elle possède, l’investissement en valeurs mobilières. Les opérations ne peuvent cependant porter atteinte au caractère civil de la présente société et ne peuvent en aucun cas conduire au développement d’une quelconque activité commerciale ».  Ce paragraphe devrait être mis au même niveau que l’objet social premier, pour ne pas en paraître l’accessoire.

3.4. En outre, un usage professionnel de l’immeuble, au moins partiel, nous parait essentiel. Comme l’exprime fort à-propos Maître Christophe Lenoir, «  La société devrait idéalement exercer ses activités au sein de l’immeuble dont elle a acquis l’usufruit (et quelle met partiellement à disposition de son dirigeant). En effet, même si nous estimons qu’une affectation totale à des fins privées ne devra pas empêchera la déduction des frais, eu égard au raisonnement basé sur l’avantage de toute nature, l’administration fiscale verra d’autant mieux le lien nécessaire avec l’objet social si la société occupe partiellement l’immeuble »[13].

3.5. Ces exigences minimales devraient permettre à notre héros fiscal de n’être pas attrapé par surprise par un fonctionnaire aux aguets, comme le fut la malheureuse biche aux pieds d’airain vaincue subrepticement  par Hercule  à l’instant  où elle chercha à s’abreuver  au bord du fleuve Ladon.

_______________

 

 

  1. 4.      De l’obligation de démontrer la rentabilité d’une structure usufruit

Travail n° 4 : Ramener vivant l’énorme sanglier d’Érymanthe

4.1. Notre héros fiscal ne peut se contenter de démontrer l’adéquation des frais immobiliers avec l’objet social élargi.  Il lui faudra encore convaincre l’administration que ces frais sont bien destinés à acquérir  ou conserver des revenus imposables. Comme ce redoutable sanglier vaincu par Hercule et qui, selon la légende, saccageait les florissants champs de blé et détruisait   toute vie sur son passage, un montage usufruit qui ne viserait qu’à détruire ou affaiblir  la base imposable ou les fonds propres d’une société au point de la rendre exsangue, ne pourrait qu’être destiné à trépasser.

4.2. C’est en réalité toute la problématique de la rentabilité du projet immobilier qui doit être ici examinée. Il s’agit en effet d’apporter la preuve qu’un tiers aurait également procédé à un tel investissement. L’administration est effet très attentive à  vérifier qu’une structure usufruit ne s’est pas faite au détriment de la société et rappelle de manière récurrente que les liens entre le dirigeant et sa société peuvent, par ce mécanisme,  révéler une collusion abusive. Force est de constater que c’est bien souvent ici que le bât blesse dans la réalisation d’un tel montage.

4.3. Comment rapporter cette preuve ? Il me parait qu’ici deux argumentations  sont à défendre : soit démontrer que la société a un réel usage de l’immeuble, ce qui lui permet d’y développer son activité et, partant, de générer des revenus ; soit démontrer que la société  qui perçoit des loyers du gérant ou d’un tiers obtiendra, au terme de l’usufruit, un rendement locatif supérieur aux charges immobilières encourues.

4.4. S’agissant de cette seconde possibilité, la décision anticipée du service des décisions anticipées (SDA) n° 900.432 du  27 avril 2010 peut être prise comme référence pour ceux qui souhaitent  définir le rendement financier. A l’occasion de cette demande, le SDA avait  posé la question de savoir si cette opération serait envisageable entre parties totalement indépendantes. Il constate que le nu-propriétaire bénéficiera d’un rendement sur son investissement supérieur à celui de la société usufruitière alors que dans ce type d’opération, les risques sont principalement supportés par l’usufruitier. Selon le SDA, « considérant que les fonds propres réellement investis par la société usufruitière dans l’opération s’élèveraient approximativement à (…) EUR et prenant pour hypothèse un loyer minimum de (…) EUR, le revenu annuel généré par l’opération s’élèverait à (…) EUR (à indexer) les 20 premières années et à (…) EUR (à indexer) les 5 dernières années de l’usufruit. On obtient ainsi un taux de rendement annuel de l’opération dans le chef de la société usufruitière de (…)%.  Dans la mesure où d’une part, les fonds propres investis dans l’opération par le nu-propriétaire s’élèveraient approximativement à (…) euros et où d’autre part, on considèrerait que la valeur de la pleine propriété de l’immeuble à la date de l’expiration de l’usufruit serait de (…) euros, le taux de rendement de l’opération dans le chef du nu-propriétaire serait de (…)%.  Ce qui précède montre que le nu-propriétaire bénéficierait dans les hypothèses formulées d’un rendement sur son investissement supérieur à celui de la société usufruitière alors que dans ce type d’opération, les risques sont principalement supportés par l’usufruitier. »  Pour le SDA, afin d’arriver à un rendement acceptable dans le chef de la SPRL et ainsi pouvoir conclure qu’un tiers aurait également pu procéder à un tel investissement, il faut que le demandeur prolonge la durée de l’usufruit  de 5 ans, portant celle-ci à 30 ans alors qu’elle était estimée à 25 ans.

4.5. Cette analyse comparative entre le rendement immobilier escompté d’un nu-propriétaire et celui d’un usufruitier est, à notre avis,  l’un des ouvrages  les plus difficiles à accomplir  pour le candidat à la structure usufruit. C’est pourtant l’un des plus importants, si l’on veut  convaincre l’administration fiscale de son utilité.

_______________

 

 

 

  1. 5.      De la durée du droit d’usufruit

Travail n° 5 : Nettoyer les écuries d’Augias

5.1. Le droit d’usufruit  consenti  à la société doit avoir une durée minimale de 20 ans. L’administration a définitivement sonné le glas  des « turbo usufruits » prévoyant une durée était de 8 à 10 ans. Il est vrai que de tels montages « sentaient aussi mauvais » que les nauséabondes écuries d’Augias asphyxiant la population locale et qui furent nettoyées par Hercule.

5.2. Une période d’au-moins 20 ans se justifie d’autant plus qu’elle contribue à augmenter la valeur  économique de l’usufruit, celle-ci s’établissant au départ d’un rendement locatif calculé sur la période de l’usufruit. Plus longue sera la durée, meilleure sera la valorisation. Cette plus haute valorisation permet ainsi d’échapper à la taxation d’un avantage  de toute nature non déclaré (et donc à la cotisation spéciale de 309%) qui résulterait du fait que le prix payé par la société pour l’usufruit est bien trop élevé par rapport au prix normal pour l’acquisition du droit réel. La différence entre le prix supporté par la société et le prix « normal » est en effet, pour le fisc, constitutive d’un avantage taxable.

 

5.3. Dans l’affaire qui avait été soumise au tribunal de première instance de Mons (voir jugement ci-avant commenté), la durée de l’usufruit était d’à peine 8 années. Le juge en avait déduit que  la valeur de l’usufruit calculée était, pour cette raison, surévaluée par rapport à celle de la nue-propriété. Selon le tribunal, les administrateurs avaient obtenu un avantage de toute nature, car dans une relation avec des tiers, la société, dans des circonstances normales, n’aurait jamais payé un tel prix pour l’usufruit.  Pour qu’un avantage soit imposé au titre d’avantage de toute nature, il faut trois conditions, réunies en l’espèce : un avantage (à savoir l’acquisition de la nue-propriété pour une valeur sous-évaluée compte tenu de sa valeur économique), un avantage de toute nature (qui peut consister, comme en l’espèce, en l’économie d’une dépense), et l’avantage doit être obtenu en raison ou à l’occasion de l’exercice de l’activité professionnelle (le lien causal entre l’activité professionnelle et l’avantage résultant selon le juge du fait que les dirigeants n’auraient jamais payé un prix si faible, compte tenu de la durée de l’usufruit, pour l’acquisition de la nue-propriété s’ils n’avaient exercé un mandat dans la société).  Quant à la taxation de 300% frappant la société, c’est à bon droit, estime le juge, que l’administration a soumis l’avantage à la taxation d’une cotisation distincte puisque la société n’a pas mentionné cet avantage dans une fiche fiscale.

5.4. Une durée importante permet aussi d’éviter le risque d’une taxation lors du remembrement de propriété, dans le cas où aucune  indemnité ne sera payée par le nu-propriétaire à l’usufruitier.  Lorsque la société a pu bénéficier d’une longue période de jouissance de l’immeuble, l’administration aura en effet plus de difficulté  à considérer que le nu-propriétaire devait indemniser la société et donc devait  subir un impôt du fait de n’avoir rien déboursé. L’absence d’indemnité compense précisément  la perte de jouissance  subie durant un long moment par le nu-propriétaire.

 

5.5. Dans un arrêt du 9 septembre 2010, la cour d’appel de Bruxelles adopta un tel raisonnement à propos d’un droit au bail. En l’espèce un terrain fut donné à bail par le gérant à sa société, pour une durée de 20 ans[14]. Sur ce  terrain, la société avait fait construire un immeuble Il était convenu que ce bâtiment revienne au bailleur à l’échéance du bail, sans que ce dernier soit tenu de verser la moindre indemnité. La cour d’appel de Bruxelles a jugé que l’acquisition de l’immeuble sans indemnité pouvait  être considérée comme une compensation de la perte de jouissance du bailleur, du fait de la durée du bail et de la modicité du loyer. En outre, précise la cour, les bâtiments érigés ont servi au locataire sous la forme d’un bâtiment d’entreprise destiné à l’exercice de son activité[15].

5.6. On observe une tendance de plus en plus nette de la part de l’administration à exiger une durée de 25 ans, voire même 30 ans. Dans la décision anticipée du 27 avril 2010, commentée ci-avant,  le SDA avait en effet considéré que pour arriver à un rendement acceptable dans le chef de la SPR usufruitière, il convenait de prolonger la durée de l’usufruit de 5 ans, portant celle-ci à 30 ans.

5.7. Notre héros fiscal ne doit donc pas être trop âgé ou tout faire pour rester le plus longtemps en bonne santé !

_______________

 

 

 

 

 

  1. 6.      De la nouvelle mesure anti-abus

Travail n° 6 : Tuer les oiseaux du lac Stymphale

6.1. Bien qu’à l’occasion de ce sixième exploit, Hercule soit parvenu à tuer de drôles d’oiseaux aux plumes de bronze, il ne sera fort heureusement pas demandé à notre héros fiscal d’abattre les étranges volatiles qui ont commis la nouvelle mesure anti-abus prévue à l’article 344 §1er nouveau du CIR.

6.2. Que faut-il entendre par mesure anti-abus fiscal ? Le nouvel article 344 du CIR, qui découle de la loi-programme du 29 mars 2012 (MB du  6 avril 2012) donne la possibilité au fisc de déclarer comme  lui étant inopposable tout acte juridique qui constitue un abus fiscal. Il y a abus  fiscal lorsque le contribuable réalise l’une des opérations suivantes: 1. une opération par laquelle il se place, en violation des objectifs d’une disposition fiscale, en-dehors du champ d’application de cette disposition; ou 2. une opération par laquelle il prétend à un avantage fiscal prévu par une disposition fiscale dont l’octroi serait contraire aux objectifs de cette disposition et dont le but essentiel est l’obtention de cet avantage.

6.3. Une circulaire administrative  (circulaire du 4 mai 2012[16]) apporte les premiers commentaires à cette loi et fixe le comportement que doit adopter un agent taxateur. Selon la circulaire, l’incompatibilité avec les objectifs de la législation fiscale doit être comprise à la lumière du concept de « construction purement artificielle » (c.à.d. d’opération qui ne poursuit pas les objectifs économiques que sous-tend la législation fiscale ou est qui sans rapport avec la réalité économique). L’administration peut se limiter à  fournir la preuve que le choix de la forme juridique répond à la définition d’abus fiscal. Il revient  ensuite au contribuable d’apporter, comme il peut, la  preuve que ses actes juridiques sont justifiés par des motifs autres que l’évitement des impôts sur les revenus.

6.4. Les constructions usufruit sont-elles visées par la mesure anti abus fiscal ?

6.5. Signalons d’emblée qu’elles sont d’abord évoquées dans la circulaire elle-même, qui précise, à l’attention des fonctionnaires, que ceux-ci ne devront plus, comme auparavant, se livrer à cet exercice périlleux (voire impossible) de requalification juridique. On peut en effet y lire que : « Le premier alinéa du nouvel article 344, § 1er, CIR 92 décrit l’objet de l’inopposabilité. Désormais l’inopposabilité concerne un acte juridique ou un ensemble d’actes juridiques réalisant une même opération. Dans certains cas, le contribuable ne pourra plus tirer aucun droit, sur le plan fiscal, des actes juridiques posés (voir également C.1.2.4, dernier alinéa, deuxième point). Un exemple d’acte juridique est la vente ou la location d’un bien immobilier ou la constitution d’un  usufruit. L’inopposabilité ne concerne donc plus la qualification juridique de l’acte comme c’était le cas auparavant. Il n’y a donc plus lieu de requalifier comme c’était le cas auparavant »

6.6. En réalité, la problématique du rapport entre usufruit et l’abus fiscal doit s’appréhender à la lumière de cette idée maîtresse, à l’origine du nouveau régime anti abus,  et qui est parfaitement résumée dans ce paragraphe de la circulaire précitée : «… Il y a construction artificielle lorsque l’opération ne poursuit pas les objectifs économiques que sous-tend la législation fiscale ou est sans rapport avec la réalité économique ou ne se déroule pas dans les conditions ».

Un démembrement de propriété  constitue un abus fiscal lorsqu’il ne repose sur aucun projet concret et réaliste et ne répond à aucune logique financière et économique. Si tel est le cas, le fisc aura beau jeu d’y voir une opération ne poursuivant qu’un simple but fiscal. Le caractère artificiel du montage, le défaut de substance économique, constituent désormais les nouveaux critères  de mise en œuvre de l’abus fiscal.

6.7. Le service des décisions anticipées ne cesse aussi de rappeler que la réalisation d’un schéma d’usufruit suppose de la part  du demandeur le respect de conditions strictes :

  •  la demande doit porter sur un  projet concret ;
  • le demandeur doit décrire le projet de manière      la plus complète possible sans lui donner de qualification juridique ou      préciser des articles de      loi. Le projet d’acte doit être joint à la demande;
  • l’usufruit      doit, d’un point de vue juridique, présenter in concreto le      fonctionnement d’un droit réel temporaire

6.8. A défaut de produire ces informations, le contribuable verra son projet écarté.  Dans une décision anticipée déjà ancienne (décision n° 500.061 dd. 02.03.2006), le SDA refusait déjà une  demande ne reposant sur aucun  projet dont la réalisation est sérieusement envisagée. En l’occurrence, les demandeurs ne disposaient pas des fonds nécessaires à la réalisation de l’opération présentée. L’objet de la demande était l’acquisition de l’usufruit d’une maison par une société, son gérant achetant la nue-propriété. La demande vise  à savoir, d’une part, si l’achat de l’usufruit  de l’immeuble par cette société et de la nue-propriété par son gérant peut faire l’objet d’une requalification sur pied de l’article 344, § 1er CIR92, et d’autre part, si un avantage de toute nature sera octroyé au gérant lorsque, à l’expiration de l’usufruit, celui-ci obtiendra la pleine propriété de l’immeuble. Le SDA observa que ni la société ni  gérant n’avait les liquidités nécessaires à la réalisation de l’opération et que celle-ci était dès lors irréaliste.

6.9. Plus récemment, on trouve,  dans la décision du 27 avril 2010 déjà évoquée, ce même type d’argumentaire de la part du SDA. On aboutit, en l’espèce,  à une décision favorable au demandeur. Le SDA se réfère ici à l’ancien article 344 §1er du CIR, mais les principes dégagés nous paraissent toujours d’actualité.  Le SDA s’y exprimait  en ces termes : «  En la matière, pour exclure une requalification, sur pied de l’article 344, §1er, CIR92, de l’usufruit  envisagé en location, il convient de vérifier que les caractéristiques juridiques propres à l’usufruit  produisent leurs effets in concreto. En l’espèce, la société usufruitière va effectivement user de son droit réel pour octroyer un mandat hypothécaire ou hypothéquer l’usufruit  dans le cadre du crédit bancaire de (…) EUR qu’elle contractera en vue de l’acquérir. Il peut dès lors être considéré que les caractéristiques juridiques propres à l’usufruit  produisent leurs effets in concreto.

6.10. Pour qu’une structure usufruit échappe à la mesure anti-bus, il faut que celle-ci ait une ertinence autre que fiscale. En définitive, tout ceci n’est-il pas du pur bon sens ?

6.11. Il serait en revanche malvenu de la part du contrôleur d’appliquer l’article 344 §1er nouveau du CIR lorsque coexisteraient des objectifs fiscaux et « non fiscaux ». On sera bien sûr attentif à ce que les objectifs « non fiscaux » ne soient pas négligeables. Le champ d’application de l’article 344, § 1er, CIR nouveau s’étend aux situations où les motifs « non-fiscaux » sont tellement insignifiants que l’opération semble impossible s’il n’est pas tenu compte des motifs fiscaux. On sait que depuis l’entrée en vigueur la nouvelle règle anti-abus, le fisc cherchera certainement  à éviter que cette disposition ne soit inefficace dès que le contribuable justifierait son acte juridique par n’importe quel improbable motif non fiscal. La circulaire du 4 mai 2012 invite d’ailleurs les fonctionnaires à faire preuve de vigilance quant à ces motifs non fiscaux. En pratique, une valorisation exclusivement économique, une période de jouissance suffisante pour la société usufruitière ou l’obtention par la société de revenus imposables liés à cet immeuble,  de même qu’un  respect absolu des règles civiles qui régissent la matière devraient suffire à freiner les ardeurs de fonctionnaires un peu trop prompts à présumer derrière toute structure usufruit la présence d’un abus fiscal.

 

  1. 7.      Du respect du droit civil[17]

Travail n° 7 : Dompter le taureau crétois de Minos

 

7.1. Le candidat à la construction usufruit ne manquera pas non plus de respecter le droit civil. Ce n’est pas un taureau qu’il lui faudra dompter mais le Code Civil. C’est dans le contexte des réparations et des travaux que cette exigence est la plus importante. L’administration ne manquera pas de mettre à néant  tout l’édifice fiscal érigé par le contribuable, et déceler, à juste titre,  des avantages taxables si la société usufruitière en vient à assumer des charges et des dépenses qui, en vertu des dispositions  du code civil,  incombent  normalement au nu-propriétaire. L’occasion de rappeler brièvement quelques principes essentiels :

  1. a.      En ce qui concerne les réparations

L’usufruitier est tenu des réparations d’entretien ainsi que des grosses réparations qui ont été nécessitées suite à son manquement de réaliser les réparations d’entretien. Quant aux grosses réparations, elles incombent en principe au nu-propriétaire[18]. Reste à savoir ce que recouvrent ces deux notions de réparations. L’article 606 du Code civil nous enseigne que les grosses réparations visent celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières, des digues et des murs de soutènement et de clôture. Toutes les autres réparations sont qualifiées « d’entretien » et doivent dès lors être assumées par l’usufruitier. Ce texte doit toutefois être actualisé. Dans un arrêt de principe rendu le 22 janvier 1970, la Cour de cassation a défini les grosses réparations comme « les gros travaux de rétablissement et de reconstruction ayant pour objet la solidité générale et la conservation du bâtiment dans son ensemble, qui revêtent un caractère de réelle exception dans l’existence même de la propriété et dont les frais requièrent normalement un prélèvement sur le capital. […] Il appartiendra au juge de déterminer si les réparations revêtent, sinon la nature des réparations expressément visées par l’article 606, tout au moins un caractère comparable d’exception et d’importance, ou si, au contraire, ce caractère extraordinaire ne peut leur être reconnu »[19].

La société usufruitière qui aura réalisé les réparations d’entretien dans le strict respect des articles 605 et 606 du Code civil ne pourra pas prétendre à une quelconque indemnisation lors de l’extinction de l’usufruit.

 

 

 

 

  1. b.      En ce qui concerne les travaux[20].

 

Ayant le droit d’user et de jouir de l’immeuble, l’usufruitier a le droit de réaliser des travaux dans le respect de la destination du bien[21]. C’est ainsi que la société usufruitière construira une piscine ou des améliorations à l’immeuble afin d’augmenter le confort de vie de l’occupant. L’avantage principal réside dans la déduction par la société des amortissements des travaux et améliorations apportés au bien.  Avant d’analyser la position de l’administration fiscale quant à l’éventuelle imposition de tels travaux dans le chef du nu-propriétaire lors de l’extinction de l’usufruit, analysons tout d’abord les enseignements du Code civil en cette matière qui doivent bien entendu nous servir de fil conducteur.

 

L’article 599, alinéa 2 du Code civil prévoit que « l’usufruitier ne peut, à la cessation de l’usufruit, réclamer aucune indemnité pour les améliorations qu’il prétendrait avoir faites, encore que la valeur de la chose en fût augmentée ». Une distinction doit dès lors être faite entre les améliorations et les autres travaux :

 

  1. les      améliorations visent les travaux et aménagements réalisés par      l’usufruitier afin d’améliorer le bien immobilier et d’ainsi lui permettre      d’accroître les avantages qu’il retire de la jouissance de ce bien[22].      Les améliorations se caractérisent aussi par un investissement se limitant      au montant des revenus produits par l’usufruit[23].      Tombent notamment dans la catégorie des améliorations, « le déplacement      d’une cloison intérieure, la transformation d’un grenier en chambre, le      placement d’une lucarne dans un toit, le placement d’une cuisine équipée,      le remplacement des châssis de fenêtres en bois par des châssis en PVC, le      changement de revêtement des sols et des murs… »[24].      Lors de l’extinction de l’usufruit, le nu-propriétaire ne sera pas tenu à      une quelconque indemnisation quant à ces améliorations même si le bien a      subi une plus-value, et ce en application de l’article 599, alinéa 2 du      Code civil.

 

Cette absence d’indemnisation de l’usufruitier pour les améliorations réalisées a été adoptée par le législateur de l’époque afin d’éviter de nombreuses et multiples contestations lors de l’extinction de l’usufruit alors même que l’usufruitier a bénéficié, tout au long de sa jouissance, desdites améliorations[25]. Il semble évident qu’en améliorant le bien immobilier dont il jouit, l’usufruitier entend avant tout agrémenter son propre confort, voire augmenter les revenus qu’il tire du bien. Dans un arrêt rendu le 27 janvier 1887 à propos des travaux effectués par un usufruitier pour transformer une maison en deux maisons, la Cour de cassation soulignait que l’article 599 du Code civil « est fondé sur ce que les avantages retirés par l’usufruitier des améliorations dont il parle sont censés compenser ce qu’elles lui ont coûté »[26].

 

Etant donné que les améliorations ainsi définies ne donnent pas lieu à indemnisation sur base des règles de notre Code civil, il s’ensuit dès lors qu’au moment de l’extinction de l’usufruit au terme contractuellement fixé, l’administration fiscale ne pourra en principe pas imposer le nu-propriétaire que ce soit au titre d’avantage de toute nature ou d’avantage anormal ou bénévole. Dans le chef de la société usufruitière, ces améliorations constituent des travaux susceptibles d’être amortis sur la durée restante de l’usufruit.

 

  1. les      travaux qui ne constituent pas des améliorations telles que définies au      point 1 ci-dessus ne sont donc pas visés par l’article 599, alinéa 2 du      Code civil. Tombent notamment dans cette seconde catégorie, les travaux      nécessitant un investissement excédant le montant des revenus produits par      l’usufruit[27].      Le régime juridique qui leur est applicable va varier selon que ces      travaux sont ou non susceptibles d’enlèvement. Peut être considérée comme      étant susceptible d’enlèvement « une      construction bien individualisée, un ouvrage d’art distinct »[28].      Par contre, ne sera pas susceptible d’enlèvement « une adjonction, une modification, une      réparation à un immeuble préexistant, sans qu’on puisse encore      individualiser après l’union, l’objet uni »[29].

 

7.2. La matière des travaux et constructions effectués par l’usufruitier est fort complexe. Retenons simplement que  lorsqu’une société et une personne physique décident de démembrer la propriété d’un bien immeuble, il faudra toujours se référer en premier lieu aux règles de notre Code civil de cette institution civile qu’est l’usufruit. Les conséquences fiscales ne font que découler de l’irrespect de l’institution civile et des règles qui lui sont applicables. C’est notamment le cas pour les travaux réalisés par la société usufruitière qui devront, le cas échéant, faire l’objet d’une indemnisation par le nu-propriétaire lors de l’extinction de l’usufruit afin d’éviter que l’administration fiscale ne soit tentée d’imposer le nu-propriétaire sur l’avantage ainsi réalisé.

7.3. On observera néanmoins que l’administration n’obtient pas toujours  gain de cause devant les tribunaux, lorsqu’elle invoque d’éventuels manquements à l’une ou l’autre disposition du code civil régissant le droit d’usufruit. Car la plupart des dispositions du code civil régissant le droit d’usufruit sont  supplétives.

7.4. A titre d’illustration, nous évoquons ce jugement du tribunal de première  Instance de Mons du 18 février 2010[30]. L’administration soutenait, dans cette affaire, que le contrat d’usufruit était simulé, car diverses obligations du code civil n’étaient pas respectées. Ainsi furent répertoriés les manquements suivants :

  1. c.       absence d’état des  lieux  (article 600 du Code civil) ;
  2. d.      non-respect de l’obligation de faire caution de jouir en bon père de famille (article 601 du Code civil) ;
  3. e.       non-respect de la prise en charge de travaux en fonction des droits des parties ;

Selon l’administration, les dépenses faites par la société devaient, en conséquence de cette simulation, être considérées comme des avantages de toute nature taxables dans le chef de la nu-propriétaire en application de l’article 32 du CIR.

Le juge ne manqua pas de rappeler que selon la théorie classique du droit civil, il y a simulation lorsque les parties font un acte apparent dont elles conviennent de modifier ou de détruire les effets par une autre convention demeurée secrète (DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. II, n° 618).

Le juge  doit donc simplement vérifier si les parties ont accepté toutes les conséquences juridiques des conventions qu’elles ont passées et si les accords apparemment conclus correspondent bien aux accords réellement conclus.

Il en  conclut que contrairement à ce que soutient l’administration, l’acte constitutif d’usufruit n’était  pas en contradiction avec le comportement des parties demanderesses. Les parties  demanderesses ont accepté toutes les conséquences juridiques de la convention d’usufruit  et de nue-propriété qu’elles ont conclue. L’administration n’établit pas pour sa part l’existence d’une contre-lettre et il n’existe dès lors aucune simulation démontrée en l’espèce.

Il est vrai que dans ce dossier le montant des dépenses subies par la société était relativement modeste.

Il n’est pas  certain que le juge eût  rendu pareille décision si  la société usufruitière avait assumé de lourds travaux immobiliers.

_______________

 

 

  1. 8.      De la fin de l’usufruit et de ses incidences fiscales
 
 
 

Travail n° 8 :   Capturer les juments carnivores

 

 

8.1. Ce n’est pas seulement à la constitution de l’usufruit ou durant la vie du droit réel que le contribuable peut subir les foudres de l’administration fiscale. C’est aussi à la fin de l’usufruit que le fisc, aussi carnivore que les juments finalement capturées par Hercule, sera prêt à le dévorer. Le nu-propriétaire recouvre-t-il l’entière propriété du bien immeuble sans la moindre taxation ou risque-t-il d’y avoir une imposition dans son chef ?

8.2. En principe, une évaluation économique devrait déjà atténuer ce risque.

8.3 L’article 32, alinéa 2, 2° du C.I.R. prévoit que les rémunérations des dirigeants d’entreprises comprennent notamment « les avantages de toute nature obtenus en raison ou à l’occasion de l’exercice de l’activité professionnelle ». La reconstitution automatique[31] de la pleine propriété lors de l’extinction de l’usufruit au terme contractuellement fixé constitue-t-elle un avantage de toute nature imposable dans le chef du nu-propriétaire ? En tant que telle, l’extinction de l’usufruit ne correspond en rien à la définition traditionnelle de l’avantage de toute nature. Pour rappel, l’usufruit « est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance »[32]. S’agissant d’un droit réel temporaire[33], il est de l’essence même de l’usufruit de s’éteindre au terme de la durée fixée dans la convention originelle. Pendant toute la durée de l’usufruit, l’usufruitier pourra user du bien immobilier en bon père de famille et il aura également droit à l’ensemble des fruits naturels, industriels ou civils produits par le bien. C’est ainsi que les éventuels loyers reviendront à l’usufruitier qui pourra en disposer comme bon lui semble. Le nu-propriétaire se retrouve donc avec une « propriété stérile »[34] qui ne lui procure aucun avantage économique réel étant donné que l’usage et tous les revenus du bien immobilier reviennent en principe directement et exclusivement à l’usufruitier[35]. En cas d’acquisition scindée de l’usufruit par la société et de la nue-propriété par l’actionnaire personne physique, ce dernier paye donc pour un droit réel qui ne lui procurera aucun revenu avant l’extinction de l’usufruit au terme convenu. Cette situation correspond au principe même de l’usufruit tout comme le caractère temporaire de ce droit réel. En devenant plein propriétaire, le nu-propriétaire n’obtient aucun avantage. Il s’agit simplement de l’exécution normale de la convention[36]. Il n’y a dès lors pas lieu à imposition d’un quelconque avantage de toute nature dans le chef du nu-propriétaire lors du moment tant attendu de la reconstitution automatique de la pleine propriété.

 

8.4. D’un point de vue civil, l’extinction de l’usufruit entraîne en principe dans le chef du nu-propriétaire l’obligation d’indemniser l’usufruitier notamment pour les « constructions et ouvrages régulièrement réalisés »[37] par ce dernier ou encore pour les grosses réparations. Il n’existe dès lors pas, civilement parlant, d’indemnisation due par le nu-propriétaire pour l’extinction de l’usufruit.

 

8.5. Cette absence de taxation pourrait néanmoins être battue en brèche par l’administration fiscale si l’usufruitier a par exemple réalisé des travaux coûteux qui ne lui incombaient pas, procurant ainsi un réel avantage au nu-propriétaire lors de l’extinction de l’usufruit[38].

 

Tel serait  aussi  le cas si des travaux d’aménagement de l’immeuble étaient réalisés par la société usufruitier dans les années qui précédent immédiatement l’extinction de l’usufruit.

 

8.6. C’est dans cette logique que le Service  des décisions anticipées ne manque pas d’insérer désormais cette exigence nouvelle, préalable à toute acceptation du schéma d’usufruit:

« Pour conforter l’engagement que dans leurs relations, les demandeurs agiront de manière similaire à celle qui prévaudrait entre parties indépendantes, ceux-ci ont convenu qu’au cours d’une des 5 dernières années avant la fin de l’usufruit, les travaux normalement à charge de l’usufruitier seront supportés proportionnellement par l’usufruitier et le nu-propriétaire en fonction de la valeur respective de l’usufruit/nue-propriété par rapport à la valeur de la pleine propriété au moment où les travaux en question seraient réalisés. La valeur de l’usufruit/nue-propriété sera déterminée par référence à la méthode utilisée par les parties pour déterminer la valeur de l’usufruit/nue-propriété dans le cadre de la présente acquisition.

 

8.7. Nous ne pouvons donc que conseiller aux candidats au démembrement de ne faire assumer par la société usufruitière, dans les cinq ans qui précèdent le remembrement, que des travaux et aménagements absolument nécessaires à l’exercice normal de l’activité de la société. De tels travaux immobiliers qui ne contribuent pas à l’exercice de l’activité, lors du remembrement,  constitueraient fort probablement des avantages taxables (au titre de commissions secrètes) dans le chef du nu-propriétaire.

 

 

8.8. Il faut enfin observer par ailleurs que le simple fait pour le nu-propriétaire de ne plus être gérant ne met pas la société à l’abri de tout risque fiscal, étant entendu que l’administration  pourra toujours invoquer l’existence d’un éventuel avantage anormal ou bénévole consenti par la société au profit d’un tiers.

_______________

  1. 9.      De l’attitude à adopter face à son notaire  

Travail   n° 9 : Rapporter la ceinture d’Hippolyté,  reine des amazones

9.1. Tel Hercule séduisant la belle Hyppolité pour lui ravir sa ceinture d’or, le contribuable audacieux devra convaincre, oserais-je dire, « séduire » son cher notaire, afin qu’il accepte de valider une nouvelle structure usufruit.

9.2. Car il est un fait que les notaires font preuve, depuis quelques mois, d’une grande frilosité face à ce genre de constructions fiscales. Bien souvent le notaire, conscient des écueils fiscaux qui peuvent résulter de la mise en place d’un tel démembrement de propriété, ne manquera pas d’arguments pour  faire renoncer le contribuable à son  projet. La presse se fait aussi l’écho de cette crainte exprimée par la profession notariale. Combien de fois n’ai-je entendu, lors de réunions avec nos clients, les notaires assimiler un démembrement de propriété à de l’abus fiscal, comme si le texte de loi instaurant la mesure anti-abus n’avait été conçu que pour combattre ce type de schéma ?

9.3. C’est donc, muni d’un dossier solide que notre héros fiscal devra affronter son notaire. Il lui faudra apporter la preuve que le droit d’usufruit a été calculé au départ d’une valorisation raisonnable et basée sur des critères économiques, qu’une affectation professionnelle au moins partielle a été donnée à l’immeuble qui est l’objet du droit réel, que cette activité immobilière est bien inscrite en toutes lettres dans les statuts de la société et qu’à aucun moment l’opération ne se fera  au détriment de la société tenue d’assumer des charges ou travaux qui ne lui incombent pas juridiquement. A nouveau, ce sont des arguments non fiscaux qui démontreront la viabilité et la pertinence d’un tel démembrement de propriété. Il faut prouver  que la structure programmée est tout sauf une « construction artificielle  ».

9.4. Faut-il rappeler que ce n’est pas la construction elle-même qui est déterminante, mais la motivation ayant mené au choix de ladite construction ?

9.5. Les notaires ne manqueront pas de lire à cet égard le fort intéressant article publié dans une revue notariale célèbre, et signé de Valérie-Anne de Brauwere et Gilles de Foy : « Abus fiscal en ingénierie patrimoniale: le tigre de papier« [39]. Cet article vise précisément à démystifier cette mesure qui fait si peur à la profession.

 

 

9.6. Il est vrai qu’en matière planification successorale, les choses sont un peu différentes depuis la fameuse circulaire du 19 juillet 2012[40] listant les cas  d’abus fiscaux dans le domaine des droits d’enregistrement et de succession.

Cette circulaire est venue « jeter un froid » et ne peut que renforcer un certain attentisme et une extrême  prudence de la part des notaires.

_______________

 

 

 

  1. 10.   Du contrôle fiscal devenu inéluctable   

Travail   n° 10 : Vaincre Géryon, le géant aux trois corps

 

10.1. Dans la déclaration de politique générale du 1er décembre 2011 détaillant les mesures fiscales à venir, on peut lire ces commentaires : « La lutte contre les montages “usufruit-turbo” sera poursuivie, soit via un meilleur contrôle, soit via une initiative règlementaire visant à déterminer la valeur de l’avantage en nature. 

10.2. Comme l’écrit Emile Masset dans l’une de ses traditionnelles chroniques «  On ne pourra pas dire qu’on ne nous avait pas prévenus : les constructions  usufruit sont dans le collimateur de l’administration fiscale depuis longtemps, mais demain elles vont faire l’objet d’un contrôle systématique et rigoureux. [41]

10.3. Le « travail » qui attend notre héros fiscal sera dès lors d’affronter un contrôleur fiscal qui ne manquera pas décortiquer toutes les spécificités de la construction usufruit aux fins d’y déceler des possibilités de taxation ( rejet en dépense non admise, avantages de toute nature, avantages anormaux ou bénévoles ou encore cotisations spéciales sur commissions secrètes).

10.4. Il parait que le monstrueux Géryon fils du titan Okéanos et vaincu par Hercule, avait la particularité d’avoir trois têtes, six bras et trois corps unis à la taille. Notre contrôleur sur vitaminé, doté de nouvelles armes législatives ou administratives, et dopé par son administration  l’invitant à investiguer de plus en plus ce genre de montage, ne sera guère plus simple à combattre.

10.5. Quels sont ou seront  les principaux points d’attention du contrôleur ?

10.6. La pratique nous montre que ce sont essentiellement  les travaux  d’amélioration ou d’embellissement à charge de la société qui sont contrôlés, surtout s’ils sont réalisés peu avant l’échéance du droit réel. L’absence d’indemnisation prévue dans l’acte notarié l’incitera à considérer de tels travaux comme des avantages de toute nature consentis au nu-propriétaire. Le contrôleur n’hésitera pas, en outre, à pourfendre les évaluations fantaisistes et les durées ridiculement courtes. Il est aussi à craindre que l’administration ne fasse une application abusive de l’article 344 §1er aux constructions usufruit. Comme l’écrit Thierry Afschrift, « La véritable crainte que ce texte peut inspirer aux contribuables est celle des abus que l’on peut prévoir … dans son application par le fisc. La loi est tellement mal rédigée et prête à ce point à confusion, que l’on doit redouter que certains services du fisc tentent, même au mépris du texte, de l’appliquer dans des conditions que la loi ne permet pas.

10.7. En raison du danger fiscal qui peut résulter d’un montage mal ficelé ou, tout simplement pour garantir la pérennité de l’opération,  il peut être intéressant de solliciter directement le Service de décisions anticipées. Rappelons qu’une fois que le SDA a rendu une décision favorable, toutes les administrations fiscales seront liées par celle-ci, sauf bien entendu si la solution mis en place ne correspond pas à ce qui a été présenté au SDA.

10.7. Si l’on veut résumer la position actuelle du SDA en matière d’usufruit, on peut dégager les  principes suivants :

  1. Le demande d’avis doit porter sur un projet concret et le contribuable doit communiquer les projets d’actes ;
  2. Il n’est question d’usufruit que si les droits et obligations principaux qui découlent de cette qualification sont respectés par les parties ;
  3. La valorisation du droit d’usufruit doit être effectuée in concreto et non par référence à une méthode de calcul applicable en matière de droits d’enregistrement ;
  4. L’usufruit doit porter sur un bien affecté à l’exercice de l’activité de la société et cette activité doit être comprise dans l’objet social tel que libellé dans les statuts.

A l’évidence, ces conditions sont strictes, mais tel est le prix de la sécurité.

_______________

 

 

 

  1. 11.  Des conséquences d’une interruption prématurée de l’usufruit  

Travail   n° 11: Rapporter les pommes   d’or du jardin des Hespérides

 

11.1. Lorsqu’on s’engage dans une construction usufruit, il faut s’assurer que celle-ci ne soit pas interrompue avant terme. Mais comment savoir ce qu’il adviendra dans les 20 à 30 ans à venir ? Les circonstances de la vie font que le beau mécanisme fiscal mis en place peut s’effondrer avant l’échéance. Il n’est donc pas impossible que le dirigeant doive revendre l’immeuble en cours d’usufruit. Que se passe-t-il en ce cas et comment déterminer les valeurs respectives de l’usufruit et de la nue-propriété au moment de la revente ?

11.2. Il faut d’emblée évoquer diverses particularités ou obligations juridiques liées à cette situation :

  1. La revente donnera lieu à une plus ou moins-value tant dans le chef à repartir entre la société et son gérant ;
  2. La plus-value réalisée par la société pourra, le cas échéant, bénéficier du régime de taxation étalée moyennant remploi ;
  3. Vu le risque de conflit d’intérêt entre le dirigeant et la société qui résulte de la décision de vendre l’immeuble, il est conseillé que le conseil de gérance ou d’administration soumette à l’assemblée générale un rapport spécial et que cette dernière valide pareille décision ;
  4. Si l’immeuble avait été acquis sous le régime de la TVA, une possible révision des déductions TVA sera opérée, lorsque la revente a lieu dans les 15 ans de l’acquisition ou de la construction de l’immeuble.

11.3. Une question essentielle est de savoir comment déterminer les différentes quotes-parts en cas de revente de l’immeuble avant terme dans une chronique consacrée à ce sujet Emile Masset suggère la méthode suivante, au départ d’un exemple :

« Admettons que l’immeuble ait été acheté pour 100, dont 60 pour un  usufruit  de 20 ans par la société et 40 pour la nue-propriété par le dirigeant. La société a donc comptabilisé une valeur de 60 dans ses immobilisations corporelles, et elle l’amortit à concurrence d’1/20è chaque année. Cette position a été confirmée par la jurisprudence. Admettons ensuite que 10 ans après l’acquisition de l’immeuble, le dirigeant et la société sont d’accord pour le vendre et trouvent acquéreur. A l’issue de ces 10 premières années, la valeur de l’usufruit  dans la comptabilité de la société a diminué de moitié. L’immeuble ne vaut donc plus que 30 dans la comptabilité de la société. Il est vendu 200, soit le double du prix d’acquisition. Question : quelle est la quote-part du prix de vente qui doit revenir à la société ? Une chose est déjà certaine : les quotes-parts appliquées lors de l’acquisition de l’immeuble ne sont plus relevantes. En effet, les 60% du prix d’acquisition payé par la société se sont érodés avec le temps, et l’usufruit ne représente plus aujourd’hui que la moitié de la durée initiale. Il ne se justifie donc pas de dire que le prix de vente doit être réparti en 60% pour la société et 40% pour le dirigeant. Au mieux, on pourrait considérer que les 60% sont devenus 30% et les 40% du dirigeant 70%. En chiffres, cela donne donc 200 x 30% = 60 pour la société.»

11.4. Bien que fort séduisante et empreinte d’une certaine logique, cette solution ne nous semble pas exacte. Il nous parait que la valeur d’un droit d’usufruit interrompu doit être déterminée, non au départ de la comptabilité, mais  de manière identique que lors de la constitution du droit d’usufruit. C’est encore et toujours la valeur économique de l’usufruit au moment de son interruption qui, à notre avis, doit être prise en compte. En d’autres termes, il faut calculer ce que représente la perte de revenus et de jouissance pour la société titulaire du droit réel au moment où elle doit s’en défaire.

11.5. Une telle approche peut aboutir à une différence entre la valeur de l’usufruit telle qu’elle résulte de la comptabilité et la valeur économique de l’usufruit. La plus-value fiscale n’est donc pas la simple différence entre le prix de vente de l’immeuble et la valeur nette comptable afférente à l’usufruit de l’immeuble.  Une expertise réalisée à l’occasion de la revente peut s’avérer précieuse pour documenter cette estimation à la valeur réelle. La « formule Ruysseveldt  » évoquée ci-avant peut à nouveau être utilisée dans ce contexte. Celle-ci devra prendre compte le nouveau rendement locatif estimé à la date de la sortie de l’usufruit, le nouveau taux d’inflation éventuel et le nouveau taux de rendement financier pour la période restant à courir jusqu’au terme de l’usufruit.

11.6. Si cette méthode aboutit à une valeur supérieure à la valeur comptable et génère dès lors une plus-value moindre dans le chef de la société, la taxation sera aussi plus faible. De la sorte, tel Hercule rapportant  les précieuses pommes d’or du jardin des Hespérides, notre dirigeant nu-propriétaire fera rapporter à sa société de précieuses économies fiscales.

11.7. On observera aussi que, depuis que l’avantage de toute nature pour mise à disposition gratuite d’immeuble a quasiment doublé, nombreux sont les contribuables qui envisagent au plus tôt la sortie de l’immeuble de la société.

11.8. Bien que dans certains cas, ce choix puisse s’avérer une nécessité vitale, nous suggérons de ne pas  tomber dans la précipitation et de bien faire les calculs préalables avec son comptable.

En effet, le gain fiscal à l’impôt des sociétés résultant de la prise en charge d’amortissements, de frais d’entretien, d’intérêts d’emprunts bancaires,  peut être bien supérieur au surcout d’une taxation à l’impôt des personnes physiques.

On ne perdra pas de vue non plus que pour financer ce rachat, le contribuable devra  soit recourir à un nouvel emprunt soit sortir d’avantages de liquidités de sa société avec les coûts fiscaux que cette dernière solution peut  occasionner.  Par ailleurs, un remboursement anticipé de l’emprunt en société expose la société à des indemnités prévues par la banque (funding losses).

En toute hypothèse, une décision aussi essentielle que le rachat d’un immeuble à sa société, nécessite une réflexion approfondie et ne s’improvise pas. Il n’est pas sûr qu’une telle solution soit toujours la plus  optimale.

_______________

 

 

 

  1. 12.  De la menace toujours possible d’une nouvelle loi fiscale

Travail n° 12:   Descendre aux enfers et capturer le Cerbère

12.1. Outre la récente mesure générale anti-abus, faut-il craindre que dans les années à venir le législateur ne ratifie une nouvelle disposition traitant  spécifiquement du sort fiscal des constructions usufruit ? En ces temps de disette budgétaire et de suspicion généralisée, ce risque n’est pas exclu.

12.2. Rappelons-nous de cette  proposition de loi déposée par le député Dirk Van der Maelen le 29 juin 2006. Elle visait  à rendre la constitution ou la cession d’un usufruit imposable dans le chef de celui qui renonçait à l’usufruit. Ce dernier était imposé sur les sommes obtenues en contrepartie de la cession, ainsi que sur tous les avantages découlant de la constitution ou de la cession d’un  usufruit. La proposition de loi visait clairement à  freiner la création de ces structures puisque le propriétaire cédant l’usufruit se voyait taxé sur les sommes reçues en contrepartie et sur les avantages recueillis. Concrètement le régime fiscal s’apparentait donc à celui applicable à la mise en location du bien. La proposition de loi n’est pas passée, mais elle pourrait ressurgir de manière inopinée un jour. Si cette disposition ou toutes autres dispositions « anti-usufruit » devaient être, ce serait bien la Descente aux enfers pour notre héros fiscal, comme ce fut le cas pour Hercule pour son ultime épreuve.

12.3. D’une manière générale, sauf à violer le principe de non-rétroactivité fiscale, les structures existantes ne pourraient pas  être remises en cause par quelque modification législative à venir.  La non-rétroactivité des lois reçoit en matière fiscale une interprétation toute particulière. Elle est à mettre en corrélation avec le principe d’annualité de l’impôt. L’article 360, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus dispose à cet égard que : « L’impôt dû pour un exercice d’imposition est établi sur les revenus que le contribuable a recueillis pendant la période imposable ».  La Cour constitutionnelle a précisé, dans son arrêt du 23 juin 2004[42] qu’une loi fiscale n’est rétroactive que lorsque, après la clôture de cette période imposable, elle modifie le régime des revenus de cette période. Dans son arrêt du 23 juin 2004, la Cour énonce ainsi : « une règle de droit fiscal ne peut être qualifiée de rétroactive que si elle s’applique à des faits, actes et situations qui étaient définitifs au moment où elle est entrée en vigueur ; (…) En matière d’impôts sur les revenus, la dette d’impôt naît définitivement à la date de clôture de la période au cours de laquelle les revenus qui constituent la base d’imposition ont été acquis. Il résulte de l’article 360 du C.I.R. 1992 que, du point de vue de la loi fiscale, il n’existe pas de situation fixée de manière irrévocable avant la clôture de la période imposable ; (…) la dette fiscale à l’impôt global sur les revenus naît le dernier jour de la période imposable, à 24 heures. Une loi qui instaure, avant cette échéance, des faits ou des assiettes imposables nouveaux n’a pas d’effet rétroactif ».

12.4. En principe, « La loi ne dispose que pour l’avenir.   Elle n’a point d’effet rétroactif » (article 2 du code civil).  Mais toute loi fiscale rétroactive n’est pas nécessairement annulée par la Cour constitutionnelle. La Cour  admet ainsi des dérogations au principe de non- rétroactivité lorsqu’il existe une justification objective et raisonnable de l’application rétroactive d’une disposition et lorsque la mesure est proportionnée au but légitime poursuivi par le législateur.

12.5. Une nouvelle disposition fiscale pourrait en outre s’appliquer à une structure usufruit qui doit encore produire certains effets juridiques. Une loi qui, par exemple, préciserait de manière expresse  que les constructions ou améliorations réalisées par la société usufruit  constituent autant d’avantages taxables dans le chef du nu-propriétaire lors du démembrement, sauf à démontrer que la société a été indemnisée, est non rétroactive, puisque l’effet juridique de la fin du droit d’usufruit ne s’est pas encore produit. La prudence est donc de mise.

12.6. La Cour constitutionnelle considère par ailleurs qu’en matière fiscale, dans certains cas (de fraude grave essentiellement), l’effet rétroactif est justifié par des « circonstances exceptionnelles et particulières », et peut être dicté par « des motifs impérieux d’intérêt général ».  La « validation rétroactive », selon l’expression de la doctrine française,  n’est dès lors pas impossible.

12.7. Assistera-t-on dès lors un jour à la naissance d’une loi, aux contours éminemment budgétaires, visant à taxer rétroactivement les structures usufruit existantes ? Nous ne l’espérons pas et parions sur le bon sens et le respect du principe de sécurité juridique et d’égalité du législateur.

Quoi qu’il advienne, une qualité supplémentaire sera exigée de la part de notre héros fiscal : un optimisme à toute épreuve et une croyance absolue en sa bonne étoile.

Entre le Royaume d’Hadès et le paradis fiscal, il n’y a vraiment plus qu’un pas ….

_______________

 

 

 

 

CONCLUSION

L’apothéose d’Hercule, plafond peint en 1733 par François Lemoyne

 

1. Au terme de ces  terribles épreuves, toutes réussies,  Héraclès fut récompensé : Zeus le fit monter sur l´Olympe parmi les dieux. Sur l´Olympe, Héraclès put se réconcilier avec Héra, devint immortel et fut consacré dieu des éphèbes. Il y épousa en outre la déesse de la jeunesse, Hébé, et ils eurent ensemble deux enfants.

Voilà une admirable fin pour notre héros grec.

2. Quant à notre héros fiscal de l’ère Di Rupo 1er, il ne peut espérer une fin aussi glorieuse, si au terme de l’usufruit, il surmonte les douze épreuves qui l’attendent.

Il pourra cependant bénéficier d’avantages fiscaux substantiels pendant la durée du droit réel.

Certes, nous l’avons vu, l’exercice est périlleux, surtout depuis les dernières salves administratives et législatives.

Mais, respectant quelques principes essentiels et  agissant avec  prudence et pondération, le candidat à une structure  usufruit peut parfaitement sortir vainqueur.

3. Les différentes exigences imposées, au fil des années,  par l’administration et la jurisprudence, qu’on les nomme valorisation économique, conformité à l’objet social, durée normale, respect du droit civil, rentabilité financière du projet, réalité économique etc., ont à notre avis une philosophie    commune que tout contribuable doit garder à l’esprit.

Cette logique commune, cette exigence prévalant sur toutes les autres, est la nécessaire démonstration qu’une construction usufruit, a priori suspecte puisqu’échafaudée entre un dirigeant et sa société, aurait pu être aussi réalisée entre parties totalement indépendantes.

En matière de structure usufruit, nous pensons que c’est le principe « at arms’length » qui doit prévaloir (principe selon lequel le prix doit être déterminé conformément aux conditions normales du marché).

4. En d’autres termes, la question fondamentale est de savoir si une société qui décide d’inscrire à son actif un droit d’usufruit et qui doit supporter pour plusieurs années les charges et les obligations qui en découlent  aurait fait ce choix si l’autre partie contractante était un tiers et non son dirigeant ?

Toutes les conditions que nous avons synthétisées dans cette étude tendent à ce seul objectif : convaincre le contrôleur qu’une société, devenue titulaire du droit réel,  a agi dans son intérêt social.

Une société commerciale n’ayant nulle  vocation à agir contre son intérêt, il faudra donc que le fardeau de l’usufruit qu’elle devra porter pendant plusieurs années lui soit profitable.

5. Personne n’a mieux exprimé ce « principe de profitabilité », au demeurant si simple et si complexe à la fois, que le professeur Kirkpatrick : « Pour être déductible, la dépense ne peut avoir le caractère d’une pure libéralité mais doit  être « intéressée »[43].

En démontrant que sa société  est « intéressée » par une construction usufruit, notre héros fiscal pourra garantie la pérennité de celle-ci et se réconcilier avec son contrôleur, comme Hercule s’est finalement réconcilié avec Héra.

 

 

 

Pierre-François COPPENS

Conseil fiscal IEC, Juriste

 



[1]  Sur cette question, voyez notamment X, « Ruling nouveau : les premières décisions sont publiées », Fiscologue, 2004, n° 942, p. 3.

[2] On observera qu’en matière de droits de succession, une autre évaluation spécifique est réalisée à l’aide de coefficients fixés par l’article 21 du Code des droits de succession.

[3] On ajoutera que le Tribunal de Première Instance de Namur (Civ. Namur, 28 juin 2006, inédit, rôle 678-2001) permet aussi l’évaluation de l’usufruit en matière d’impôts sur les revenus sur base de l’article 21 du Code des droits de succession.

[4] Avis général à consulter sur www.ruling.be

[5] Civ. Mons, 28 février 2005, Fisc. koer., 2005, n° 386.

[6] J. Verhoeye, « De turbo vruchtengebruikconstructie », F.E.T., 15 décembre 2000. Le jugement reproduit de larges extraits de l’article de doctrine auquel le Tribunal déclare se rallier pleinement. Voyez également sur cette question K. Verheyden, « Waardering van vruchtengebruik, recht van opstal en erfpacht”, Zakelijke rechten en fiscaliteit, Antwerpen-Apeldoorn, Maklu, 2004, p.132 à 135.

[7] Et ce, conformément à l’article 605 du Code civil.

[8] Formule  tirée de l’étude de J. Ruysseveldt intitulée « De Waardering van het tijdelijk vruchtgebruik, anders bekeken » parue dans le Notarieel en Fiscaal Maandblad (1999) :

[9] On ne manquera pas de consulter le site créé par Mr Jaumain  www.christian-jaumain.be, qui fournit la valeur de divers usufruits et, en particulier, de l’usufruit dit « certain » qui nous intéresse dans ce contexte. .

[10]. Le tribunal de Bruxelles a ainsi statué  faveur du contribuable dans cette affaire suivante. Au décès du père de l’administrateur, ses trois fils recueillirent et se partagèrent sa participation dans le capital de la société, tout en devenant débiteurs, à concurrence de leurs droits respectifs, du compte courant débiteur que leur père avait envers cette société. Deux des fils, dont le contribuable décédé, ancien directeur de l’entreprise, étaient devenus administrateurs, tandis que le troisième avait une autre activité professionnelle. A l’instar de ses frères, ce dernier avait continué à bénéficier de l’avantage de ne pas devoir payer d’intérêts sur son compte courant débiteur. Selon ce dernier, le prêt sans intérêts consenti par la S.A. à l’administrateur-directeur n’était pas la contrepartie de l’activité exercée effectivement par lui au sein de la société, et n’avait pas été octroyé en raison de services prestés. Le tribunal a approuvé ce raisonnement. Pour le juge, le simple fait pour ce frère d’avoir présidé une assemblée générale des actionnaires en qualité de doyen de cette assemblée ne pouvait être assimilé à un mandat d’administrateur. (Jugement  du 21 novembre 1989).

 

[11] Trib. Mons, 15 novembre 2012, R.G. n° 09/1821/A, disponible sur www.fiscalnetfr.be

[12] Un jugement du Tribunal de Première Instance de Liège du 20 septembre 2004 (Civ. Liège, 20 septembre 2004,  F.J.F., 2006, n° 18 et T.F.R., 2005, n° 285, p. 673 rappelle également que  « la mise à disposition (à titre gratuit ou pour un prix avantageux) d’un immeuble par un employeur ou une société à un de ses travailleurs ou à un de ses dirigeants n’a rien d’exceptionnel ; […] cette situation a en effet été envisagée expressément par le législateur fiscal, qui a indiqué les règles à suivre pour déterminer la valeur de l’avantage en nature que constitue une telle mise à disposition […] « 

[13] Extrait du support de Christophe Lenoir ; « Droits réels, le point sur la jurisprudence fiscale », p. 56

[14] Bruxelles, 9 septembre 2010, RG n° 2005/AR/120, disponible sur www.fiscalnetfr.be

[15] Comme le souligne Christophe Lenoir, op.cit, p.62, une telle opération est juridiquement une renonciation à un droit d’usage et non une acquisition sans indemnité. Il s’ensuit que le bâtiment devait  revenir  au bailleur par le jeu de l’accession.  On est en effet ici plutôt dans le cadre de la constitution d’un droit de superficie.

[16] Circulaire  n° 4/2012 du 04.05.2012 (AAF n° 3/2012, AGFisc n° 17/2012, AGDP n° 4/2012)

[17] Texte écrit en collaborations avec Maître Vincent Deckers.

[18] Article 605 du Code civil.

[19] Cass., 22 janvier 1970, J.T., 1970, p. 203.

[20] Pour une étude très intéressante sur le sujet, voyez A. Gosselin et L. Herve, « Du sort des constructions et aménagements immobiliers réalisés par l’occupant. Aspects civils et fiscaux », Rev. not. belge, 2004, p. 550 et s.

[21] J. Hansenne, Les biens, t. II, op. cit., p. 1038, n° 1019.

[22] J. Hansenne, Les biens, t. II, op. cit., p. 1040, n° 1019.

[23] J. Hansenne, Ibidem, p. 1040-1041, n° 1019 ; H. De Page et R. Dekkers,  op. cit., p. 374, n° 463.

[24] A. Gosselin et L. Herve, op. cit., p. 618.

[25] J. Hansenne, Les biens, t. II, op. cit., n° 1019 ; H. De Page et R. Dekkers,  op. cit., p. 375, n° 463 ; A. Gosselin et L. Herve, op. cit., p. 618.

[26] Cass., 27 janvier 1887, Pas., 1887, I, p. 56.

[27] A. Gosselin et L. Herve, op. cit., p. 625.

[28] P. Levie, Traité théorique et pratique des constructions érigées sur le terrain d’autrui, Publications universitaires de Louvain, Bibliothèque de droit privé, notarial et fiscal, Louvain, p. 61 cité par A. Gosselin et L. Herve, op. cit., p. 627.

[29] Ibidem.

[30] Tribunal de première instance de Mons – Jugement du 18 février 2010 – Rôle n° 08/3134/A_08/3135/A, disponible sur www.fiscalnetfr.be

[31] La reconstitution automatique de la pleine propriété lors de l’arrivée du terme contractuellement prévu se distingue de la consolidation qui s’entend de la réunion sur la même tête des qualités d’usufruitier et de nu-propriétaire (article 617 du Code civil). « Ainsi le décès ou l’arrivée du terme font disparaître l’usufruit, ce qui entraîne la reconstitution automatique de la pleine propriété : on ne peut donc dire, en pareils cas, que la qualité d’usufruitier – laquelle disparaît en même temps que l’usufruit – rejoint la qualité de nu-propriétaire » (J. Hansenne, Les biens, t. II, op. cit., p. 1080, n° 1074).

[32] Article 578 du Code civil.

[33] L’article 619 du Code civil prévoit que l’usufruit établi au profit d’une personne morale ne peut en aucun cas dépasser une durée de trente ans.

[34] F. de Montpellier, « Usufruit, emphytéose et superficie. Limites de l’autonomie de la volonté et utilisation combinée », Onroerend goed als beleggingsinstrument. La stratégie immobilière, Gand, Larcier, 2003, p. 14 ; J. Hansenne, Les biens, op. cit., p. 1019, n° 997.

[35] H. De Page et R. Dekkers parlent de « l’indigence économique de la nue-propriété ». Voyez H. De Page et R. Dekkers, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VI, Bruxelles, Bruylant, 1942, p. 163, n° 205.

[36] L’article 617 prévoit d’ailleurs expressément que « L’usufruit s’éteint : […] par l’expiration du temps pour lequel il a été accordé ».

[37] J. Hansenne, Les biens, t. II, op. cit., p. 1087, n° 1078.

[38] Voyez infra, n° 24.

[39] Rec. gén. enr. not., Kluwer, septembre 2012, n° 26.407.

[40] Circulaire n° 8/2012 (Vers. 2) du 19.07.2012

[41] Brève du 23 février 2012, www. fiscalnetfr.be

 

[42] Cour constitutionnelle, 23/6/2004, aff. 109/2004 et 110/2004.

[43] J. Kirkpatrick, Le régime fiscal des sociétés en Belgique, Bruxelles, Bruylant, 1995, p. 117.

Ce contenu a été publié dans Articles. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Les commentaires sont fermés.