LA BELGIQUE FACE A LA PLANIFICATION FISCALE AGRESSIVE : ETAT DES LIEUX

LA BELGIQUE FACE A LA PLANIFICATION FISCALE AGRESSIVE : ETAT DES LIEUX

1. Introduction

« Je puis dire, écrire et afficher sur la porte de ma maison que j’ai l’intention d’échapper à la loi belge, et que c’est dans ce seul but, avec ce seul mobile, que je vais créer une société à l’étranger sous l’empire d’une loi étrangère. Nul ne peut légalement m’en empêcher... » écrivait, il y a plusieurs  années, le professeur de droit fiscal Raymond Vander Elst[2].

Dans un pays comme la Belgique qui se singularise par une pression fiscale assez élevée, la propension à éluder l’impôt est tout aussi élevée. Celle-ci peut se manifester de différentes manières. Le contribuable peut tout d’abord renoncer à exercer une activité dont il sait que le produit sera en grande partie absorbé par l’impôt. D’autres choisiront de percevoir des revenus mais, enfreignant délibérément la loi fiscale, ne les déclareront pas: il y a clairement fraude fiscale. Une autre possibilité consiste à éviter l’application de la loi fiscale en faisant en sorte que le revenu, effectivement perçu, ne soit pas soumis à l’impôt belge. On parle en ce cas d’évasion fiscale. Enfin, un contribuable peut se contenter de créer une société dans un pays où l’impôt est en principe perçu à un taux analogue à l’impôt belge, mais où certains types de revenus bénéficient d’un régime dérogatoire plus favorable.

L’objet de notre contribution est de répondre aux questions suivantes: confrontée à la diversité des possibilités d’évasion fiscale, à la complexité des mécanismes d’ingénierie fiscale internationale visant à éluder l’impôt et à l’imagination fertile d’éminents conseillers fiscaux, quels sont les instruments dont dispose l’administration fiscale belge pour remettre en cause la licéité de certaines opérations accomplies par  de constitution d’une société à l’étranger ou contrecarrer certains transferts de bénéfices vers la société étrangère? Ces instruments sont-ils suffisamment exploités et réellement efficients ? Quel regard critique peut-on porter sur la manière dont réagit le fisc belge face à des cas de planification fiscale agressive. Après un exposé des règles anti-abus existantes, nous nous interrogerons sur l’efficacité  de ces mesures et sur les limites dans lesquelles elles doivent s’inscrire.

2. Un impressionnant arsenal juridique.

Dans un légitime souhait légitime de colmater toutes les brèches dans lesquels s’étaient un peu trop généreusement engouffrées certains contribuables, le législateur belge n’a cessé d’introduire, année après année, de nouvelles dispositions diverses anti-abus, à caractère général ou spécifique.

2.1 La mesure générale anti-abus et la simulation.-

En droit fiscal belge, une jurisprudence constante de la Cour de cassation consacre le principe de la liberté du choix de la voie la moins imposée.[3] 

La liberté du choix de la voie moins imposée suppose toutefois qu’il n’y ait pas simulation, notion fondamentale en droit fiscal belge. La simulation est une altération de la vérité.  Si l’administration peut établir (notamment par présomptions) le caractère fictif ou simulé d’actes qui lui sont opposés, ces actes perdent toute force probante à son égard. Cette altération de la vérité provient  d’une situation qui précède la déclaration fiscale. Le contribuable « prépare le terrain »: faux fiscaux, faux intellectuels, etc. Les exemples sont nombreux : falsification des inventaires, des comptes annuels, documents antidatés (tels que factures, fiches), altération de la vérité se situant dans les conventions conclues par le contribuable. La simulation présente de nombreux degrés.

Depuis quelques années, l’administration fiscale peut également invoquer l’abus fiscal à l’encontre de certaines opérations fiscales (nouvel article 344§1er  du Code des impôts sur les revenus 1992, ci-après CIR). L’abus fiscal est composé d’un élément objectif et d’un élément subjectif. L’élément objectif implique que le contribuable choisisse un acte juridique ou un ensemble d’actes juridiques qui lui permettent de se placer dans une situation qui est contraire aux objectifs d’une disposition du Code des impôts sur les revenus ou de ses arrêtés d’exécution. L’élément subjectif implique que le contribuable choisisse cet acte juridique ou cet ensemble d’actes juridiques avec comme but essentiel l’obtention de l’avantage fiscal. L’administration ne doit apporter la preuve que de l’élément objectif. Quant à l’élément subjectif, c’est au contraire au contribuable à démontrer qu’il n’existe pas, en prouvant que le choix de l’acte juridique ou de l’ensemble d’actes juridiques se justifie par d’autres motifs que la volonté d’éviter les impôts sur les revenus.

A l’impôt des sociétés, les opérations qui pouvaient jadis espérer relever du libre  choix de la voie la moins imposée risquent désormais de faire l’objet de toutes les attentions du fisc qui dispose de ce nouvel instrument légal pour contrer (ou à tout le moins essayer de contrer) certaines opérations bien connues : démembrements de propriété , recours à des sociétés de management, cessions internes, locations de biens immobiliers suivies de sous-locations, création de sociétés-écrans (qualifiées par le fisc de montages artificiels lorsque leur réalité juridique et économique  n’est pas démontrée), liquidation de société  suivies de la création d’une nouvelle société poursuivant un objet social identique, utilisation abusive du régime fiscal favorable des droits d’auteur, utilisation inappropriée de la déduction pour capital à risque (les intérêts notionnels) , location de clientèle ou de fonds de commerce, etc.

Telles sont quelques-unes des opérations que le fisc pourrait examiner à la lueur la disposition anti-abus fiscal, mais à notre avis, avec une chance de succès relative.

L’exercice consistant à dénoncer un abus fiscal risque en effet de n’être pas si simple pour l’administration.

Prenons l’exemple des sociétés unipersonnelles : créer une société unipersonnelle  pour ne pas subir l’impôt des personnes physiques belge et bénéficier du taux a priori plus favorable de l’impôt des sociétés belge est-il abusif ?  En réalité, le simple fait de créer une société de management fait juridiquement entrer le contribuable dans le champ d’application des dispositions du Code  des impôts sur les revenus qui fixent le taux et l’assiette de l’impôt des sociétés. Dès lors, en choisissant d’être soumise au taux de l’impôt des sociétés, la société de management n’a fait que respecter l’objectif du législateur belge, qui est d’accorder un taux de taxation différent pour les sociétés que pour les personnes physiques. On observe en outre qu’il ne sera pas évident pour un contrôleur de recourir à cette disposition, lorsque des motivations sincères d’ordre économique, familial ou financiers  permettent de justifier la création d’une société et ce, en dépit des avantages fiscaux qu’elle permet.

2.1. De nombreuses mesures anti-abus spécifiques.- Le législateur belge a aussi élaboré au fil des décennies  un ensemble de règles destinées à lutter dans des cas bien spécifiques contre l’évitement fiscal. Parmi ces nombreuses dispositions que la présente contribution ne peut examiner dans leur ensemble, évoquons tout d’abord l’important article 26 du CIR  permet à l’administration fiscale d’ajouter aux bénéfices imposables d’une entreprise les « avantages anormaux ou bénévoles » que celle-ci aurait consentis à des sociétés interdépendantes ou à de  tiers. De tels avantages peuvent avoir la nature de dépenses ou résulter d’une absence ou d’une insuffisance de revenus. Cette disposition est donc une exception fondamentale au principe selon lequel seuls les bénéfices réalisés sont imposables.

La loi du 21 juin 2004 (MB du 9 juillet 2004) a également inséré dans le CIR une disposition comprenant deux principes. L’article 185 § 2, a) du CIR introduit le principe « at arm’s lenght » qui signifie que, lorsque deux sociétés se trouvent, dans leurs relations commerciales ou financières, liées par des conditions convenues entre des sociétés indépendantes, les bénéfices qui sans ces conditions auraient été réalisés par l’une des sociétés, mais n’ont pu l’être à cause de ces conditions, peuvent être inclus dans les bénéfices de cette société. L’article 185 § 2, 6 prévoit, quant à lui, le principe de l’ajustement corrélatif qui vient « corriger » le principe précédent.

L’article 207, alinéa 2 du CIR s’oppose à toute déduction ou compensation (au titre de libéralités déductibles, déduction pour investissement, pertes fiscales, RDT, capital à risque) sur la partie du résultat de la période imposable qui provient (notamment) d’avantages anormaux ou bénévoles qu’une société reçoit, directement ou indirectement, sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, d’une entreprise établie en Belgique ou à l’étranger à l’égard de laquelle elle se trouve, directement ou indirectement, dans des liens d’interdépendance. La finalité de cette disposition est d’empêcher qu’une société déplace des bénéfices d’une société vers une autre société, en vue de permettre à cette autre société de compenser ce bénéfice par une déduction extra-comptable (RDT, pertes fiscales antérieures, etc.).

L’article 54 du CIR établit une présomption selon laquelle certains types de versements (intérêts d’obligations ou d’emprunts, redevances pour la concession de l’usage de brevet d’invention, procédés de fabrication ou autres droits analogues ou rémunérations pour prestations de services) payés ou attribués à des non-résidents (ou à des établissements étrangers de sociétés étrangères établis dans des pays refuges) sont fictifs ou excessifs. L’article 54 du C.I.R. considère en conséquence que de tels remboursements ne sont pas des frais professionnels déductibles sauf si le contribuable apporte la double preuve que les sommes payées répondent à des opérations réelles et sincères et ne dépassent pas les limites normales.

Par une loi du 29 mars 2012,  la Belgique  a renforcé son régime visant à lutter contre les sous-capitalisations de sociétés. Ce régime limite la déduction d’intérêts  d’emprunts lorsqu’il existe une trop grande disproportion entre les fonds empruntés et les capitaux propres d’une société. Avant la loi du 29 mars 2012, les intérêts de tels emprunts n’étaient  pas considérés comme des frais professionnels lorsque le bénéficiaire était établi dans un pays jouissant d’un régime fiscal notablement plus avantageux que notre régime fiscal belge et  lorsque le montant total des emprunts (sauf obligations et titres analogues émis par appel public) excédait 7 fois la somme des réserves taxées au début de la période imposable et le capital libéré de fin de cette période. Depuis la nouvelle loi, ce ratio est passé de 1 à 5 au lieu de 1 à 7. Mais surtout il s’applique désormais aux emprunts qui sont contractés à l’intérieur de groupe d’entreprises et ce, quel que soit le type d’emprunt. Il est toutefois prévu une dérogation spécifique pour les sociétés dite de cash-pooling, sociétés qui assurent la gestion centralisée de trésorerie à l’intérieur d’un groupe.

Le régime des « revenus définitivement taxés » (RDT) repris aux articles 202 et 203 du CIR a été introduit dans la législation fiscale belge, pour éradiquer certains effets pervers rencontrés lors de la taxation des dividendes de sociétés. Ceux-ci risquent en effet d’être soumis à une imposition en cascade lorsque les actionnaires de la société qui distribue des dividendes sont eux-mêmes des sociétés qui rémunéreront leurs propres actionnaires.  Dès lors, il a été mis sur pied un système faisant obstacle à cette taxation en cascade. Selon ce régime des RDT, dès lors que le dividende aura été imposé à la base, il passera à travers toutes les autres sociétés sans subir de taxation. Toutefois, pour que les dividendes puissent bénéficier du régime des RDT, et être ainsi déduits de la base imposable, diverses conditions sont requises, dont notamment celle qui prévoit que les dividendes doivent provenir d’une société assujettie à l’impôt des sociétés ou à un impôt analogue. Les revenus définitivement taxés ne sont donc pas déductibles lorsqu’ils sont alloués ou attribués par une société qui n’est pas assujettie à l’impôt des sociétés ou à un impôt étranger analogue ou qui est établie dans un pays dont les dispositions du droit commun en matière d’impôts sont notablement plus avantageuses qu’en Belgique, à savoir dans un paradis fiscal. D’autres cas d’exclusions sont encore prévus par le code.

Signalons enfin cette mesure, inscrite au point 10° de l’article 198 du CIR, introduit par la loi-programme du 23 décembre 2009, qui impose aux sociétés de déclarer tout paiement atteignant le montant de 100.000 EUR minimum lorsqu’il est effectué directement ou indirectement au profit de personnes établies dans des paradis fiscaux. En plus de l’obligation de produire cette déclaration, la société contribuable visé par cette disposition devra encore prouver, par toutes les voies du droit, que les paiements ainsi effectués entrent « dans le cadre d’opérations réelles et sincères » et ont lieu « avec des personnes autres que des constructions artificielles ». Si une telle preuve n’est pas fournie ; lesdites dépenses ne seront non seulement pas déductibles mais en outre, une  cotisation distincte de 309% prévue à l’article 219 du CIR est susceptible d’être  appliquée.

 

3. L’influence du droit communautaire et de l’OCDE

3.1. Vers la disparition du secret bancaire belge ?- Dans le prolongement des  directives européennes et des recommandations  l’OCDE visant à plus de transparence fiscale et à un renforcement des échanges d’information entre les autorité fiscales, la Belgique n’a pas manqué de réagir  en adoptant quelques  mesures législatives concrètes. La plus médiatique est sans conteste celle qui vise à éradiquer le secret bancaire. Diverses modifications du code des impôts sur les revenus ont ainsi été réalisées afin de permettre la levée du secret bancaire en cas d’indices de fraude fiscale et d’intention de procéder à une taxation indiciaire. Dans ce contexte un  « point de contact central », a été créé en 2011 au sein de la Banque National de Belgique qui a pour objet de répertorier certaines informations que les institutions financières ont désormais l’obligation de communiquer sur leurs clients (identité des clients, numéros de comptes et contrats). Les informations ainsi recueillies pourront être consultées par l’administration fiscale en cas d’indices de fraude fiscale ou lorsque celle-ci envisage de recourir à la taxation sur bas de signes et indices d’aisance. Un arrêté royal du 3 février 2014 permet  en outre aux établissements bancaires et de crédit d’avoir un accès aux fichiers du registre national des personnes physiques afin de permettre un enregistrement correct des informations dans ce point de contact central.[4] Une certaine doctrine belge s’est inquiétée de ce que ces modifications législatives récents ne soient que le prélude à un cadastre général des fortunes.

3.2. L’échange de renseignements.- La Belgique a procédé à la transposition quasi intégrale, dans son article 338 du CIR (et dans les dispositions équivalentes en droit de succession et droit d’enregistrement) de la Directive « épargne ». Le champ d’application du régime d’échange de renseignement a même été élargi dans la législation belge puisque sont visées non seulement les personnes dotées de la personnalité juridique, mais aussi les toutes autres constructions juridiques, tels  les trusts, les fonds d’investissement, les sociétés civiles ou encore les fondations. Par ailleurs, l’article 338 du CIR prévoit la mise en œuvre d’un échange automatique et spontané  de renseignement qui  s’ajoute à l’échange sur demande déjà en place depuis quelques années et qui suite les règles de procédure internes. Cet échange automatique, applicable à partir du 1er janvier 2015 et se rapportant aux périodes imposables débutant le 1er janvier 2014, concerne les personnes résident dans les autres Etats membres qui ont perçu certains types de revenus et de capitaux. Les actifs qui sont visés par cet échange automatique  sont les plus divers : rémunérations des travailleurs ou des dirigeants, produits d’assurance vie, pensions, biens immobiliers et revenus produits par ces biens immobiliers.  Quant à l’échange dit spontané  que l’autorité  belge est également autorisée à pratiquer, il vise toutes des renseignements relatifs à des opérations suspectes qui impliquent une déperdition d’impôt belges. A titre d’exemple d’opérations suspectes, citons les  transferts présumés fictifs de bénéfices  entre sociétés liés d’un groupe de société. De tels échanges de renseignements que la Belgique a récemment implémentés visent, eux aussi, à favoriser une plus grande transparence dans le patrimoine des contribuables.

                

4. Conclusion : de la lutte contre la fraude fiscale vers  le « contrat fiscal » 

4.1. Actions envisageables. La Belgique est-elle suffisamment outillée  pour combattre toutes les formes de fraude fiscale ou d’évasion fiscale ? L’arsenal législatif exposé est-il complet ou nécessite-t-il d’être amélioré voire amendé ? L’administration fiscale belge dispose-t-elle  d’assez de moyens d’action dans son combat contre les abus fiscaux. Il nous parait d’emblée qu’une réglementation législative ou administrative qui répertorierait les opérations susceptibles de tomber sous le coup de la disposition générale anti-abus serait la bienvenue. Une telle liste (qui existe déjà en matière de fiscalité indirecte) servirait de guide pour le fisc belge et inviterait à la prudence de la part de contribuables désireux de se lancer dans l’opération dénoncée.   En réalité, les principaux changements souhaitables ne peuvent se cantonner à l’ordre interne belge mais se situent essentiellement au niveau européen. Face à une mondialisation qui ouvre le champ à des déplacements fréquents de base imposable, face à la complicité de juridictions non coopératives qui refusent de jouer le jeu de la transparence fiscale et qui accentuent la concurrence fiscale, il nous  parait que quelques initiatives pourraient  être suggérées visant à freiner certains mécanismes d’érosion fiscale. L’une des premières mesures serait d’intensifier davantage la coopération fiscale entres les Etats en développant des échanges d’information plus directs. Une approche plus coordonnée entre les actions des Etats membre en vue de la lutte contre la fraude fiscale est souhaitable.  Ces échanges peuvent prendre la forme d’accords politiques bilatéraux ou multilatéraux entre Etats portant sur un éventail toujours plus grand de capitaux ou de revenus ou sur un renforcement des moyens d’assistance au recouvrement des créances fiscales des Etats. Ces moyens demeurent  embryonnaires et le  taux de recouvrement reste très faible. Les Etats pourraient aussi accentuer de manière concertée leur lutte contre toutes formes d’utilisation abusive  des conventions préventives de double imposition. Au niveau règlementaire, la Belgique en collaboration avec les autres Etats membres pourrait défendre le principe d’une harmonisation de la notion de « montage purement artificiel » que l’on retrouve dans la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union et qui vise à combattre toutes formes d’abus fiscaux. Cette notion reste à ce jour imprécise et à géométrie variable. La réglementation européenne fixant la notion d’assiette commune consolidée devrait être transposée et rapidement mise en application. Elle  permet en effet de lutter contre toutes les formes de transferts  indirects de bénéfices et élimine à la fois la concurrence fiscale et les dommages liés à une politique agressive de prix de transfert  entre sociétés localisée dans des Etas membres différents.

 

4.2. Entre civisme fiscal et sécurité juridique. S’il est absolument nécessaire d’accentuer tous les moyens de lutter contre une évasion fiscale dommageable, il convient tout autant de ne pas porter atteinte aux droits les plus élémentaires du contribuable. La volonté de plus de transparence fiscale ne peut pour autant aboutir à une remise en cause de la sécurité juridique dont tout citoyen est en droit de se prévaloir et ne peut créer des injustices fiscales. Une nouvelle  gouvernance fiscale ne rime pas avec musèlement du contribuable ou atteinte au principe du libre choix de la voie la moins imposée. On ne peut naturellement pas  contester au fisc le droit de faire appliquer toutes les lois fiscales et de veiller à la correcte perception de l’impôt, mais il faut rappeler qu’il doit le faire dans des limites acceptables et raisonnables. Comme l’écrit le professeur Baltus, «  une administration  ne peut user de ses pouvoirs que pour réaliser les objectifs en vue desquels ces pouvoirs lui ont été données et doit proportionner son action à ces objectifs ». [5] Le respect scrupuleux des lois fiscales suppose par ailleurs que celle-ci soient  compréhensibles. Il est un fait que les lois fiscales, en particulier les lois fiscales belges, sont devenus d’une complexité alarmante et débouchent sur des erreurs d’interprétation ou des contournements audacieux. Il ne s’agit évidemment pas de plaider pour une candide simplification de la loi fiscale.  D’ailleurs, la simplification ne contribue pas forcément à la sécurité juridique. Derrière chaque loi se cachent des enjeux sociaux et politiques qui contribuent à la complexité de la norme. Plutôt que de simplification, il faudrait  plutôt revendiquer l’intelligibilité des textes fiscaux. Ce qui est intelligible selon le dictionnaire Larousse est ce qui peut être compris, saisi aisément. Dans l’Art poétique, Boileau écrivait : « Il est certains esprits dont les sombres pensées sont d’un nuage épais toujours embarrassées ; Le jour de la raison ne le saurait percer Avant donc que d’écrire, apprenez à penser. (…) Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément» écrivait-il. Les textes fiscaux restent souvent fort confus. En outre, le processus d’élaboration des lois ou circulaires semble déconnecté du processus de mise en œuvre concrète de cette production législative ou réglementaire. Il devient en effet difficile, voire impossible, d’appliquer des textes dont la conception est au départ  précipitée. C’est donc ici que gît tout le paradoxe. Il est assurément nécessaire de promouvoir davantage de civisme fiscal et de contraindre le citoyen à suivre les règles impératives mais il est tout autant nécessaire de prévoir des moyens permettant  à ce dernier  de comprendre la raison et la portée de la norme fiscale, afin qu’il y consente. Ce consentement à la norme fiscale passe aussi par un engagement de la part de l’Etat de garantir une sécurité et stabilité juridique. C’est donc vers un contrat fiscal  qu’il faut tendre, une sorte de pacte entre le citoyen et l’Etat  dans lequel chaque partie sortirait gagnante. Moi citoyen j’accepte de me plier au système fiscal qui m’est imposé à condition que celui-ci soit clair, équitable et efficace. « La liberté du peuple est toute dans l’impôt », s’exclamait le révolutionnaire Barère. Pour accepter de subir toute les mesures anti-abus existantes et à venir, le contribuable doit d’abord éprouver un légitime sentiment de liberté.



[1] Pierre-François Coppens, Conseil fiscal, juriste, chargé d’études à l’IEC, chargé de Formation à l’Université de l’UCL-Mons.

[2] Vander Elst R., »La fraude à la loi en droit international privé », in Mélanges Baugniet, p.799.

Comme l’exprime l’auteur, un des procédés les plus classiques d’évasion fiscale consiste, pour un contribuable belge, à avoir recours à des sociétés établies dans des pays-refuges qui ne soumettent les sociétés qui y sont établies à aucun impôt ou à un impôt dérisoire.

[3]Dans un arrêt célèbre (Cass. 16 juin 1961, Pas.1962,  I, 1082)   la cour de cassation du Cassation a  énoncé  qu’ « il n’y a ni simulation prohibée à l’égard du fisc, ni partant fraude fiscale, lorsque, en vue de bénéficier d’un régime, fiscal plus favorable, les parties, usant de la liberté des conventions, sans toutefois violer aucune obligation légale, établissent des actes dont elles acceptent toutes les conséquences, même si la forme qu’elles leur donnent n’est pas la plus normale ».

[4]On ajoutera par ailleurs  que les contribuables sont également tenus d’indiquer dans leur déclaration fiscale l’existence de comptes bancaire à l’étranger et le pays

[5] Marc BALTUS, Principes de droit fiscal, cours de l’ESSF, 1992, p.37

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